Pour une série aussi familière des volutes de beuh, le mot paraît approprié : Atlanta plane au-dessus du lot depuis son apparition fin 2016. La nouvelle saison, en diffusion actuellement (sur OCS City), le confirme haut la main. Alors qu’elle est censée raconter la vie d’un jeune homme dont le cousin est une star du rap, elle ne cesse de prendre des chemins de traverse, pour épouser une ligne en zigzag permanent. Son sixième épisode, mis à l’antenne il y a deux semaines, a même atteint des sommets de bizarre – et des sommets tout court.
Darius, l’un des personnages secondaires, se retrouve dans une immense et luxueuse bâtisse où il vient récupérer un piano donné par son propriétaire. Là, le garçon tombe sur un étrange personnage nommé Teddy Perkins, un homme manifestement né noir, mais que la peau blanchie et les opérations ont rendu mutant. D’une fragilité de porcelaine, il parle d’une petite voix. Pour ceux qui ne l’auraient pas déjà compris, il rappelle Michael Jackson.
En plus de mettre trop longtemps à lui donner son piano, l’inquiétant Teddy parle à Darius de son intimité, sa relation avec un frère censé habiter dans la maison mais que personne ne voit, avec qui il a été élevé dans l’amour de la musique par un père violent qui les battait. C’est là que le conte moral commence et il se terminera mal.
Il est question, pêle-mêle, de Stevie Wonder et des sœurs Williams
L’atmosphère de film d’horreur (Get out est notamment cité, en plus de Psychose) se double d’une réflexion brutale sur les trajets de vie des artistes ou sportifs et la nécessité ou non d’endurer un trauma pour réussir – il est question, pêle-mêle, de Stevie Wonder ou des sœurs Williams, les joueuses de tennis.
Cette réflexion est rendue complexe par le geste même du créateur et acteur principal de la série Donald Glover, qui joue grimé le rôle de Teddy Perkins. Une whiteface, par opposition aux nombreuses blackfaces historiques, qui donne un sens politique à l’ensemble, en organisant la réinterprétation par la culture noire de thématiques longtemps associées aux Blancs dans la création majoritaire. Par son importance esthétique et politique contemporaine, cet épisode fait écho au merveilleux American Bitch de l’ultime saison de Girls l’année dernière, qui avait anticipé #MeToo et prenait lui aussi la forme d’un récit bouclé, en dehors de la narration principale de la série.
Glover se fiche sans doute de ces comparaisons. C’est un génie en devenir qui parle mieux que personne de l’Amérique post-Obama et de l’émergence obligatoire d’artistes aux voix et aux regards subtilement différents. Deux épisodes plus tôt, il mettait en scène sa rupture avec sa petite amie lors d’une très bizarre (déjà) fête de la bière, où ils étaient les seuls non-Blancs. Glover filme ce que personne ne filmait comme ça avant lui. Il invente une réalité rêveuse, où la puissance politique d’un geste s’adjoint à une douce déflagration poétique. Que demander de mieux ?