De préquels en spin-off toujours plus distants, la licence “Star Wars” nous donnait le sentiment de nous faire balader. Mais cette nouvelle série semble promettre une escale substantielle sur ce flot de productions que l’on sentait s’épuiser.
Fin septembre nous nous enthousiasmions pour les premiers épisodes d’Andor, dernière série estampillée Star Wars en date, mais la prudence restait de mise. Surtout dans le contexte d’essorage de franchise auquel se prête Disney et la cadence infernale à laquelle nous soumet son calendrier de sorties, où chaque nouvelle série trimestrielle (Le Livre de Bobba Fett, Obi-Wan Kenobi…) parvenait à soustraire encore un peu de magie au mythe. Jusqu’à nous dépassionner d’une saga qui semblait ne plus rien avoir à raconter. Deux mois et neuf épisodes plus tard, force est de constater qu’Andor est non seulement la grande série Star Wars qu’on n’espérait plus, mais aussi une grande série tout court, indépendamment de son affiliation à la franchise la plus célèbre de la galaxie.
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Pour rappel, la série suit, quelque part entre la prélogie et la trilogie originale (en cette période trouble où l’Empire contrôle la galaxie d’une main de fer), l’itinéraire insurrectionnel de Cassian Andor (Diego Luna, excellent), personnage apparu dans Rogue One, spin-off déjà piloté par le franc-tireur Tony Gilroy. Ouvrier sur une planète industrielle contrôlée par une corporation orwelienne à la solde de l’Empire, Cassian deviendra un peu malgré lui mercenaire pour le compte des rebelles, avant qu’un séjour traumatique dans une prison impériale aux méthodes fascistes affermisse ses convictions en gestation. Au fil de ses rencontres avec des idéologues, résistants ou agents doubles, prêts à tout sacrifier pour saboter l’Empire, Cassian finira par embrasser la cause rebelle.
Un chapitre rédempteur ?
L’un des points les plus fascinants d’Andor tient à la torsion du procédé habituellement à l’œuvre dans les films Star Wars. Originellement, la saga de George Lucas s’attachait à diluer dans un vaste univers de science fantasy conçu de toutes pièces, les influences plus ou moins souterraines l’ayant irrigué (le western et le film de sabre notamment). Andor fait sensiblement l’inverse, et dilue ce même univers (tant de fois parcouru) dans les genres cinématographiques qu’il investit (le film d’espionnage, le film de guerre et la fiction carcérale principalement) ; jusqu’à faire disparaître à l’écran tous les signes ostentatoires de la saga qu’on pensait imparables. Pas de sabres lasers dans Andor et encore moins de Jedi, aucun héros providentiel au lignage favorable mais un réalisme charbonneux et un sentiment de désespoir qui innerve toute la série ; notamment dans la façon inédite qu’elle a de dévoiler les coulisses de l’Empire, vaste machine à broyer de l’humain à la bureaucratie kafkaïenne, comme un avatar du régime nazi. Cet effacement des signes distinctifs de Star Wars prend le contre-pied des séries précédentes qui, par souci de fan service, avaient plutôt tendance à en saturer l’écran. Mieux, il se double d’une mise en scène tellurique qui, elle aussi, dilue l’imaginaire science-fictionnel de la saga dans une sorte de naturalisme spatial déconcertant, mais revivifiant. Ainsi Coruscant, cité-planète tentaculaire et capitale de la galaxie, est filmée comme jamais auparavant, telle une mégalopole brumeuse et invariablement grisâtre sous occupation impériale ; tandis que les gigantesques bâtiments administratifs de l’Empire rappellent le brutalisme soviétique.
Déconstruire ses archétypes
Plus politique qu’aucun autre film de la franchise, Andor est aussi portée par des personnages finement écrits, jamais unidimensionnels mais au contraire changeants et pluriels : Cassian d’abord, mercenaire individualiste rattrapé par des convictions qu’il ignorait, mais aussi Stellan Skarsgård dans la peau d’un agent double risque-tout ; Mon Mothma, sénatrice duplice secrètement affiliée aux rebelles ; ou encore le glaçant Syril Karn, bureaucrate impérial teigneux, petit nazillon investi d’une mission quasi-mystique. Sous haute tension de bout en bout, par moments désespérée, Andor impose personnages et enjeux avec un savoir-faire impressionnant, et déconstruit quelque chose du mythe Star Wars pour, finalement, le faire briller plus intensément.
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