[L’épisode de la semaine] Chaque semaine nous analysons un épisode d’une série qui nous a marqués. Après avoir opéré un tournant féministe au début de la troisième saison d’Inside Amy Schumer, la comique revient pour une quatrième encore plus cinglante, ultra intelligente et toujours ancrée dans la pop culture.
C’est en avril 2015 que la terre entière a découvert Amy Schumer. Bien que sa série Inside Amy Schumer était diffusée sur Comedy Central depuis deux ans, c’est la sortie du premier épisode de sa troisième saison, Last Fuckable Day, qui l’a propulsée au rang de comique féministe la plus incontournable de sa génération. Dans cet épisode de vingt minutes, un sketch en particulier a marqué les esprits. On y voit la comédienne aux côtés de trois actrices, Julia Louis-Dreyfus, Patricia Arquette et Tina Fey, qui célèbrent le « dernier jour de baisabilité » de Louis-Dreyfus. Entendre: le moment où l’industrie du cinéma décide qu’il n’est plus « crédible » qu’une actrice soit encore sexy (un jour qui n’arrive jamais pour les hommes, naturellement).
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Ce tournant résolument féministe avait offert à la comique une couverture médiatique sans précédent. Le format de sa série a favorisé ces reprises : le programme est découpé en plusieurs sketchs (entre 6 et 8 minutes) à l’image de celui sur le Last Fuckable Day ou des faux clips dans lesquels elle tourne en dérision les diktats de beauté dans la pop culture (« Girl you don’t need makeup »). Ces sketchs sont eux-mêmes séparés par des extraits de one-woman-show, d’interview réalisées par Amy Schumer dans la rue ou dans des bars, ainsi qu’un segment « Amy Goes Deep » dans lequel elle reçoit une personne pour lui faire parler de sa vie (une femme de 106 ans, une anti-lobby des armes, un homme avec un immense pénis).
Plus c’est gros, plus c’est fin
Depuis, la comédienne fait la tournée des plateaux de télévision pour parler de son film Trainwreck puis de son excellent nouveau spectacle Live at the Apollo produit par HBO. Au point où l’on se demandait comment elle aurait le temps de produire une quatrième saison d’aussi bonne qualité que la précédente. Voilà trois semaines qu’elle nous prouve le contraire. Ce nouveau volet d’Inside Amy Schumer est un concentré d’humour acide qui exagère les travers de la société selon un adage méconnu : plus c’est gros, plus c’est fin.
Dans Brave, le troisième épisode diffusé le 5 mai sur Comedy Central, Amy Schumer commence par un sketch sur le conformisme des rôles de femmes dans les films nommés aux Oscars. Elle se paie le luxe de faire jouer un panel d’actrices à la renommée mondiale (Julianne Moore, Maggie Gyllenhaal, Jennifer Hudson, Laura Linney) qui incarnent tour à tour, dans plusieurs parodies de films, la « femme qui supplie son mari au téléphone pour qu’il revienne ».
« Plus que tout, j’aimerais remercier les scénaristes, parce que vous êtes ceux qui inventent tous ces rôles de femmes dynamiques ! Sans vous, nous ne serions pas capables de répondre au téléphone! Merci, nos héros », lance Amy Schumer qui vient de remporter la fausse récompense.
Elle enchaîne avec un extrait de son stand-up dans lequel elle ironise sur les réactions des médias lorsque la comédienne a posé nue, en novembre 2015, pour le calendrier Pirelli devant l’objectif de la photographe Annie Leibovitz. « Il y a ce mot que vous ne voulez pas que les gens utilisent après qu’une photo nue de toi est devenue virale : courageuse. »
Un miroir grossissant qui n’épargne personne
Dans ce même épisode, deux autres sketchs viendront enfoncer le dernier clou dans le cercueil de la société patriarcale. Elle invente notamment des lunettes spéciales qui permettent aux femmes de savoir « quel genre de femme les hommes veulent qu’elles soient » explique la guest géniale Claudia O’Doherty (récemment vue dans Love de Netflix) :
« La victime qui flirte, la petite soeur audacieuse, la mère nourricière mais dragueuse, la pétasse abîmée, la belle-Milf, l’ingénue sexy, l’ingénue dragueuse, la pote dragueuse de ta mère, la « Manic Pixie Girl » ou Amy Adams », liste cette dernière.
Les téléspectateurs masculins auraient tort de croire au réquisitoire contre tout ce qui a attrait au mâle — bien que l’on imagine aisément certains se fendre d’un #NotAllMen (« mais tous les hommes ne sont pas comme ça! ») même murmuré dans un souffle quand personne n’est là pour l’entendre. Ici, Amy Schumer porte à bout de bras un miroir grossissant qu’elle tourne vers les femmes et les hommes, ne s’épargnant pas non plus au passage. La comédienne est son pire bourreau et sa meilleure victime consentante.
Dans une conférence dédiée au « rire au féminin » dans les séries, les journalistes Renan Cros et Yaële Simkovitch montraient au Festival Séries Mania combien l’humoriste Tina Fey était confrontée aux difficultés inhérentes au fait d’être une “féministe qui veut faire rire“. Amy Schumer s’affirme comme sa digne descendante, n’hésitant pas à se montrer régulièrement en femme soumise qui a conscience de la schizophrénie de sa situation. Mais non sans conclure devant son public: « N’ayez pas de peine pour moi les gars, vous savez que je suis riche, n’est-ce pas? »
Inside Amy Schumer, saison 4, les jeudis sur Comedy Central depuis le 21 avril 2015, en France sur MTV
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