Et Dieu dans tout ça ? La série française « Ainsi soient-ils », qui relate la vie de cinq séminaristes, explore les arcanes de l’Église et pose la question de l’engagement. Une révélation.
Soldats traumatisés et louches, filles volages et au chômage, croque-morts désorientés, publicitaires pervers, médecins au grand cœur, flics et/ou voyous, avocats malins, femmes au foyer hystériques, rescapés perdus sur une île, dealers pas clairs… L’extension infinie du domaine narratif exploré par l’industrie de la sérié télé laisse étrangement de côté des acteurs clés du monde social : les hommes d’Église. Comme s’ils avaient disparu de l’imaginaire dominant, comme si on n’osait y toucher par peur du blasphème ou de l’ennui.
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Le monde religieux contemporain – opaque, déconnecté du réel – pourrait sembler rébarbatif et réfractaire à tout récit reflétant notre époque – les seules séries traitant du monde religieux sont historiques et mettent en scène les papes et cardinaux du bas Moyen Âge (Les Borgia, Les Tudors…) ou se trouvent à la lisière de la foi (les mormons polygames de Big Love). Une nouvelle série française, Ainsi soient-ils, démontre avec élégance tout l’inverse.
http://www.youtube.com/watch?v=hqsYQeZP7oI
Par-delà sa raideur et son âpreté, le filtre clérical permet d’inventer des personnages lumineux et d’évoquer, à travers leurs engagements et leurs doutes, les enjeux sensibles qui agitent notre présent.
Cette maturité se déploie dans la manière très subtile d’inscrire chaque personnage au cœur d’un même espace, de lui conférer une identité propre à partir d’indices fragiles, et de faire de la vie commune de ces protagonistes le lieu d’un grand doute généralisé, fondé sur une tension narrative qui atteint son acmé lors des deux derniers épisodes, les plus aboutis.
Nécrose et crise identitaire de l’Eglise
La dimension quasi ethnographique de la série, décrivant les rites quotidiens et répétés d’une vie de séminariste, se mêle à des codes d’un pur suspense déployé dans les arcanes du Vatican et des règlements de comptes au sein de l’Église. La série prend évidemment acte, pour s’appuyer dessus, de ce qui traverse aujourd’hui l’Église catholique : sa nécrose, sa crise identitaire, illustrée par le départ massif des fidèles, l’absence de toute réforme du gouvernement romain, le rigorisme moral, l’autoritarisme et le traditionalisme liturgique, le goût du secret, la haine du moderne, l’autoconservation… Autant de failles dénoncées récemment par le grand théologien Hans Küng dans son livre Peut-on encore sauver l’Église ? (Seuil), et qu’incarnent par leur duel démoniaque les deux splendides personnages clés de la série, le père Fromenger, supérieur du séminaire (Jean-Luc Bideau, figure rêvée de l’homme d’Église) et le président de la Conférence des évêques de France (Michel Duchaussoy, son dernier rôle).
Intégrant le contexte sociologique de cette Église en crise, la série opère en même temps un déplacement constant, autant territorial que thématique : les séminaristes sortent de leur lieu d’enseignement et d’eux-mêmes pour confronter leur catéchèse et leur foi à la réalité du monde extérieur (le sort des sans-abri, la famille en vrac, leurs épanchements affectifs et sexuels…). C’est de cette collision entre leur vie intérieure et les désordres environnants que surgit la tension dramatique de la série, tenue de bout en bout.
Chacun des personnages est conduit d’une manière ou d’une autre à assumer le deuil de ses engagements religieux pour faire face, assez démuni, aux failles d’un monde qui ne laisse pas de place à la parole biblique, sans prise sur les modes d’existence. Rattrapés par le principe de réalité de la vie terrestre – les fêlures intimes du passé, les ambiguïtés d’un chemin vers Dieu trop contraignant… -, les cinq héros tombent du ciel, littéralement. Dans Ainsi soient-ils, c’est un « ainsi sont-ils » qu’on entend. Ils sont ainsi, nos nouveaux héros redescendus du ciel : imparfaits, tourmentés, pétris de désirs et de remords, dans la vie autant que dans l’envie de la fuir. La béatitude céleste n’existe pas, pas plus au Vatican qu’au séminaire : chacun lutte contre soi-même et pour l’idée qu’il se fait de la félicité et du salut.
Jean-Marie Durand
Ainsi soient-ils, saison 1 du 11 octobre au 1er novembre sur Arte, tous les jeudis à 20 h 50. Sortie en coffret 3 DVD le 24 octobre
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