Les séminaristes devenus prêtres d’Ainsi soient-ils reviennent sur Arte pour un troisième et dernier tour de piste. Une boucle brillamment bouclée.
A l’échelle française, la discrète Ainsi soient-ils vient d’accomplir un miracle : sortir de terre (et du ciel) dans un délai raisonnable – trois ans pour trois saisons – une série cohérente, vivante, ambitieuse.
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Alors qu’elle se termine par une dernière salve de huit épisodes équilibrés et émouvants, on se pince toujours un peu pour y croire. Une histoire de jeunes prêtres et de vieux évêques, de Paris au Vatican, aura réussi à devenir l’une des productions françaises les plus intéressantes de la décennie, l’emblème avec quelques autres – Les Revenants, exemplairement – d’un renouveau qui n’a mis que trop longtemps à survenir.
A l’origine du projet, le producteur Bruno Nahon en retire aujourd’hui une forme de fierté paradoxale. “C’était une aventure magnifique mais dure à porter car notre univers a été, dans le paysage sériel d’aujourd’hui, un fardeau, un paroxysme de non-séduction originel, plus encore que les croque-morts (allusion à Six Feet under – ndlr). Nous aurons gagné ce titre : avoir mené à leur terme trois saisons sur l’univers le plus gris de toutes les séries !”
Trois saisons prévues dès le début
Soutanes élimées, églises désertées, mots d’un autre siècle… C’est vrai, Ainsi soient-ils a pris à contre-courant son époque plus prompte aux sautillements pop et glamour qu’aux professions de foi fastidieuses et profondes.
Dans la troisième saison qui débute cette semaine, la question de la séduction n’est pourtant plus au centre du jeu. La série suit le chemin qu’elle a elle-même tracé, sans se soucier des influences extérieures. Depuis longtemps, d’ailleurs, il était prévu qu’elle s’arrête assez tôt.
“Il y avait, étrangement, cette idée de Trinité, le 3, chiffre magique, ambitieux et modeste, reprend Nahon. Nous l’avions annoncé à Arte au début, sans savoir exactement de quoi il en retournait. Une intuition. Et finalement une prophétie. Nous avions vu nombre de nos séries-références contenir une saison de trop. Alors, même si cela génère de la frustration et de l’incertitude, nous ne voulions pas terminer sur un échec. J’ai l’impression que les auteurs (David Elkaïm et Vincent Poymiro – ndlr) et le réalisateur (Rodolphe Tissot) ont réussi trois belles saisons, toutes différentes, sans en avoir sacrifié une, ni avoir rompu le pacte avec les spectateurs.”
Une matière fictionnelle organique
L’intelligence d’Ainsi soient-ils aura été de parfois se remettre en cause quand elle en ressentait le besoin. En douceur. Presque sans bruit. A son image. Au début de cette saison finale, une affaire de pédophilie gâche le quotidien de l’un des jeunes prêtres – tous sont désormais en exercice dans des paroisses étalées sur toute la France – alors que les scénaristes avaient mis jusqu’ici un point d’honneur à n’évoquer ce sujet majeur dans l’Eglise actuelle que de biais. Pour ne pas céder aux tentations de l’actualité.
Mais plus que toute autre forme narrative, une série reste un corps fictionnel soumis aux exigences d’une matière devenue organique. Sa manière de grandir est parfois hirsute. Les créateurs l’ont compris, acceptant ce genre de pas de côté à condition qu’il nourrisse leur fidélité aux personnages. “Ainsi soient-ils n’est qu’une série de personnages, c’était notre ambition”, dit Bruno Nahon. Ne pas y chercher une science du rebondissement ou des effets à outrance. Les personnages guident l’action, le contraire serait hors sujet. Qui les aime les suive.
La série se referme parfaitement
Avec ces principes ascétiques, Ainsi soient-ils s’est peut-être privée d’un art de la surprise et d’une forme d’intensité dramatique plus marquée. Elle y a également beaucoup gagné. Dans cette troisième saison réfléchie, les uns et les autres ont droit à leur sortie de piste autour de problématiques présentes dès le pilote – les contradictions entre la foi et le désir, le rapport au monde extérieur…
C’est le privilège des séries réussies que de réaliser une boucle avec ce qui les habitait déjà au début. Revenu en Bretagne, le jeune Yann (Julien Bouanich) frémit toujours pour la jeune fille qui lui avait retourné le cœur à l’adolescence… Guillaume (Clément Manuel) est encore en couple avec son ancien camarade séminariste Emmanuel (David Baïot)… José (Samuel Jouy), le plus cabossé d’entre tous, cherche un sens social et humain au sacerdoce. Apparu lors de la saison 2, monseigneur Poileaux (Jacques Bonnaffé) poursuit son ascension contrariée et burlesque au sein de l’Eglise.
Moins important au début de l’histoire, le père Bosco (Thierry Gimenez) en incarne désormais la figure la plus étonnante depuis sa rencontre avec une thérapeute d’un nouveau genre… Comme les autres, Bosco doit apprendre à finir. La séparation étant inéluctable, autant la placer au centre du récit. Tous les épisodes sont tendus vers cet objectif, où se mêlent le deuil, les regrets, l’envie d’ailleurs, la tristesse d’une époque qui se termine mais aussi un sentiment de plénitude.
Une modestie accrocheuse
Par principe, les dernières saisons de séries et plus encore les derniers épisodes forment un magma singulier. On se souvient des plus grands (Friday Night Lights, Six Feet under), on ressasse les plus étranges (Les Soprano), on critique éternellement les plus problématiques (Lost, How I Met Your Mother). Comme rarement en France – parmi les séries importantes et récentes, seule Mafiosa a terminé son parcours de manière fluide –, Ainsi soient-ils a eu l’occasion de se frotter à l’exercice avec une certaine innocence, une modestie finalement accrocheuse.
“Pour moi, Yann, Guillaume, Poileau, Bosco ‘existent’, ils ‘sont’, explique Nahon. Oui, on a encore des choses à raconter, mais peut-être sont-ils assez forts pour ne plus avoir besoin de nous.”
Ainsi soient-ils saison 3, les jeudis 8, 15 et 22 octobre, 20 h 50, Arte
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