Inspirée par le long métrage de Bong-Joon-ho, la série de Netflix dilue son potentiel formel et sa charge politique dans un roulement scénaristique monotone.
En 2013, Bong Joon-ho quittait sa Corée natale pour pénétrer le champ du blockbuster international à bord du Transperceneige, librement adapté de la bande dessinée de Jean-Marc Rochette et Jacques Lob. Sans jamais quitter l’espace de son train futuriste lancé à toute vitesse autour d’un monde gelé, il y trouvait matière à un épanouissement de son geste et à un frottement fécond des registres.
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Initiée en 2016, la série dérivée a souffert d’une gestation difficile. Confié au showrunner Josh Friedman et au réalisateur Scott Derrickson, son pilote a écopé d’importants reshoots supervisés par Graeme Manson et James Hawes, qui ont fini par éjecter le premier duo du projet.
Un mélange de styles moins audacieux que chez Bong-Joon-ho
Située dix ans avant le film de Bong Joon-ho dont elle opère une semi-relance rejouant ses grandes lignes narratives tout en tenant certains de ses paramètres pour acquis, Snowpiercer embarque à nouveau le spectateur dans son arche de métal, et organise l’humanité survivante selon un système de classes totalitaire. Alors qu’une énième révolte couve chez les sans-billets, l’ex-inspecteur André Layton est réquisitionné à l’avant du train par Melanie Cavill, porte-parole de son créateur, pour résoudre une affaire de meurtre.
Loin de la ligne claire électrisée d’outrances baroques qui caractérisait le long métrage, la série procède d’un mélange de styles moins audacieux, piochant dans l’éventail de la production contemporaine (du Crime de l’Orient-Express de Kenneth Branagh aux luttes intercommunautaires de The Walking Dead) les rouages de son récit monotone.
Si l’enquête policière est habilement menée, sa mise au premier plan dilue la dynamique de la lutte des classes, forçant les scénaristes à en marteler les axiomes tout en édulcorant leurs figurations. Il faut attendre les derniers épisodes pour que la machine s’emballe réellement, et embranche sur une deuxième saison dans un déluge de sang et de tôles froissées.
Là où les mille et un wagons du train organisaient chez Bong Joon-ho un projet de mise en scène inspiré par la structure des jeux vidéo, l’hétérogénéité des nouveaux compartiments excède rarement l’habillage cosmétique. Il aurait fallu, pour les faire sortir de leurs gonds, que s’y épanouisse un regard de cinéaste propre à en explorer les potentialités cinétiques et plastiques. Tels les administrateurs du train qui envisagent la révolution comme un déraillement contrôlé propre à renforcer leur système, les architectes de la série semblent avoir comprimé leurs visions transgressives pour lui assurer une trajectoire sans encombre.
« Les films avancent comme des trains dans la nuit », glissait François Truffaut à Jean-Pierre Léaud dans La Nuit américaine. Enfilant les épisodes comme des wagons raccordés par des points de tension et des liaisons discrètes, la forme sérielle aurait pu trouver dans la structure du train une surface de projection ludique. Sans être un accident industriel, ce Snowpiercer nous laisse une impression de station manquée.
Snowpiercer Le 25 mai sur Netflix
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