Dans « Intrusion », Jonathan Zaccaï interprète avec subtilité un être fracturé qui ressent la présence de son frère jumeau décédé. Une efficace minisérie réalisée par Xavier Palud.
Un motif singulier, devenu régulier, traverse le paysage de la fiction télé hexagonale (et étrangère) du moment : déterrer les morts. De Missing à Broadchurch, de Disparue aux Revenants, nous sommes à l’heure du retour des disparus, et du refoulé qui accompagne leur effacement. Des êtres trépassés, séparés et oubliés hantent un grand nombre de séries construites sur l’idée d’une réapparition, qui peut autant prendre la forme de zombies que de fantômes intérieurs, comme dans la nouvelle minisérie de Xavier Palud, Intrusion.
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Ecrite par Frédéric Azémar (auteur d’Odysseus, déjà sur un retour d’un disparu, Ulysse) avec Quoc Dang Tran et Florent Meyer, cette série en trois épisodes s’inscrit dans ce tropisme spectral, en entremêlant au cœur de son récit les codes du thriller, du fantastique et du drame psychologique. Cette superposition de tons multiples confère à Intrusion une vraie singularité et une tension magnétique, surtout dans les deux premiers épisodes, où le personnage principal, Philippe Kessler, pianiste virtuose (joué par Jonathan Zaccaï), se laisse envahir par un trouble identitaire. Intrusion est l’histoire d’une possession et d’un vertige dont la musique traduit l’emprise, en passant d’un motif romantique à un trait chaotique.
Climat psychotique
La belle idée de la série est de travailler, par-delà la question d’un passé dont les traumatismes ressurgissent et impriment la surface du présent, le motif proprement cinégénique de la gémellité. Le malaise diffus et confus du personnage principal, pris entre deux amours (Judith El Zein, Marie Kremer) et deux tempéraments, forme le symptôme de “l’intrusion” dans sa chair du souvenir d’un frère jumeau mort durant son enfance. De cette (con-)fusion affective du départ, la série dérive peu à peu vers un climat psychotique, en jouant avec les codes classiques de la schizophrénie, jusqu’à mettre en scène une série d’électrochocs pour le coup bien électrique et suffocante.
Sans être inédite, cette atmosphère de démence et d’implosion (plus que d’intrusion) n’est pas sans efficacité. Jonathan Zaccaï compose subtilement son personnage, en réussissant à habiter chacune des deux faces d’un sujet fracturé, prolongeant une tradition de jeu poussée à la perfection par Jeremy Irons dans Faux semblants de David Cronenberg (mais aussi par Pierre Richard, dans Le Jumeau d’Yves Robert !).
Par ses résonances psychologiques mais aussi ses échos musicaux, cette double vie de Philippe évoque secrètement la “double vie de Véronique” imaginée par le cinéaste polonais Krzysztof Kieslowski dans son film de 1991 avec Irène Jacob. Mais, un peu trop forcée et démonstrative, la série pâtit d’intentions trop appuyées. A force de jouer sans nuances avec les règles du fantastique, elle se perd en chemin, surtout dans le dernier épisode, légèrement boursouflé dans sa volonté d’accentuer le sentiment de perdition de son personnage. L’ultime paradoxe de la série, construite sur une forte promesse, c’est qu’elle efface sensiblement le mystère de son sujet autant que de son personnage : comment vibrent les morts en nous.
Intrusion minisérie réalisée par Xavier Palud (3 × 52 min.). Jeudi 28, 20 h 50, Arte
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