L’amour des inadaptés fait la beauté de cette sitcom américaine aux personnages très travaillés. À découvrir.
Les comédies se sont-elles donné le mot pour devenir les mètres étalons de la télévision américaine ? Si Homeland, Mad Men, Breaking Bad et quelques autres continuent d’assurer côté drame, une vague de séries poilantes (mais pas seulement) fait de ce genre longtemps déclaré en crise un parangon de créativité et de pertinence. L’une des meilleures séries actuelles tous styles confondus s’appelle Louie et raconte les déboires d’un comique de stand-up en pleine crise de la quarantaine. Un puissant autoportrait, loin de toute formule connue, qui n’a pas trouvé de diffuseur français. Dans un registre plus grand public, The Mindy Project a été l’une des bonnes surprises de la rentrée, tout comme The New Normal. Au menu, des personnages borderline et des “débats de société” comme la place des femmes au travail et l’homoparentalité, passés au crible de vannes galopantes. D’autres comédies valent la peine, notamment The Middle, Girls, New Girl et bien sûr Modern Family.
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Mais en ce moment, une sitcom qui vient d’entamer sa deuxième saison aimante toute notre attention. Son nom ? Suburgatory – agrégation de deux mots, suburbs, ces grandes banlieues US paisibles et ennuyeuses, et purgatory, le purgatoire. L’histoire d’un père d’un peu moins de 40 ans, George, et de sa fille adolescente, Tessa, qui déménagent un matin de Manhattan vers l’enfer des pelouses trop bien entretenues et des voisinages envahissants. Le choc culturel qui sert de base à la série (nos deux citadins bohèmes vs une bande de bourgeois-ploucs, en résumant grossièrement) pourrait peser lourd après quelques épisodes.
Mais Suburgatory ne se contente pas de balancer des saloperies sur les intérieurs kitsch et les choix de couleurs de stilettos. Elle élabore épisode après épisode des principes infaillibles, une morale simple mais ferme selon laquelle absolument personne n’est normal. Qu’ils soient sophistiqués et rêveurs ou au contraire obsédés par leur mode de vie superficiel, les personnages de la série ont tous droit à la parole et à un point de vue, si bien que le freak n’est jamais celui que l’on croit.
Plutôt que d’opposer deux mondes, Suburgatory fait se rencontrer les inadaptés de tous horizons et leur demande de s’unir. C’est beaucoup plus intéressant. C’est ainsi que le père de Tessa s’amourache d’une femme bruyante, accro au lipstick rose et disposant d’un coach de vie. C’est ainsi que sa fille se rapproche d’une cheerleader blonde qui parle comme les ennemies de Lindsay Lohan dans Mean Girls.
La série passionne vraiment car elle ne se contente pas de renverser la perspective entre gens normaux et exceptionnels ou entre bon et mauvais goût. Son art du grand écart va plus loin. Toute sitcom de vingt-deux minutes qu’elle est, Suburgatory révèle un ambitieux drame intimiste sous ses habits de comédie sociale potache. L’exploit naît d’abord dans les trajectoires de personnages à qui il manque tous quelque chose : une mère pour l’héroïne (celle-ci a disparu au moment de sa naissance), une trajectoire sentimentale pour le père, un chemin vers la sexualité pour la voisine exubérante et néanmoins frigide, des parents pour le voisin adopté, etc.
Dans sa deuxième saison, la série prend au corps les dérives et la mélancolie de ces quelques familles éclatées. Elle sait émouvoir par surprise, au bout de scènes a priori anodines. Une comédie qui fait pleurer étant toujours un joyau, espérons que la créatrice Emily Kapnek, passée par Hung et Parks and Recreation, saura maintenir le cap. Suburgatory est en tout cas notre attrape-coeur de saison, presque aussi belle que Community dans son amour des créatures sauvage.
Suburgatory le mercredi sur ABC et sur Canal+ Family début 2013
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