Si au cinéma le genre horrifique, de ″Ça″ aux productions Blumhouse, fait trembler le box-office, les séries qui travaillent la peur et le frisson connaissent cet automne des fortunes diverses.
La confrontation à ses peurs profondes ou à des représentations limites de la violence provoque chez le spectateur un plaisir coupable et un malaise jouissif. Si ce grand écart émotionnel entremêle excitation et masochisme, voyeurisme et catharsis, l’expérience de la peur audiovisuelle est également physique : chair de poule et bouffées de sueur, nausée et yeux fermés, cris incontrôlés et ongles plantés dans la cuisse du voisin.
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La salle de cinéma, boite noire peuplée de corps fantomatiques frémissant dans l’ombre, se révèle un écrin de choix pour l’horreur, qui y fonctionne toujours à plein : récemment, les productions économes aux pitchs implacables de Jason Blum (American Nightmare, Ouija) n’ont pas raté leur cible, l’adaptation du Ça de Stephen King a aisément dépassé les deux million d’entrées en France, quant le huitième volume de la saga de torture porn Saw affiche une rentabilité de six-cent pour cent après une semaine de sortie…
Le petit écran, qui explore lui aussi goulument les formes et arcanes du genre, a offert cet automne un vaste choix de séries horrifiques. Forme épisodique et mode de diffusion obligent, la peur s’y expérimente de façon plus solitaire, la tension s’y distend et le choc s’y essouffle parfois dans la répétition. Boudés par le public et la critique, certains shows phares du genre semblent en phase terminale, quand de petits nouveaux explorent des voies vivifiantes.
Vampires, zombies : les monstres classiques n’ont plus la côte.
Un temps élégant, politique et surtout captivant, The Walking Dead, le mastodonte télévisuel d’AMC adapté des romans graphiques de Robert Kirkman, Charlie Adlar et Tony Moore, s’est enlisé dans une imagerie fade et une intrigue diluée à l’extrême. La figure du zombie, peu à peu reléguée en arrière-plan des conflits entre humains survivants, y est vidée de son substrat politique comme de ses potentialités visuelles. Loin des œuvres d’un George Romero, les morts errent dans un monde aux relents fascisants régi par le culte de la force et l’instinct de survie mais ne révèlent plus rien. Accessoires racoleurs pour décorum glauque, ils sont devenus la caution horrifique d’une série d’action bien pénible. Résultat : les critiques sont assassines, et la série vient de signer sa pire audience depuis 2012.
Les vampires modernes de Guillermo Del Toro et Chuck Hogan ne s’en sont pas mieux sortis : The Strain, adaptée de leur trilogie romanesque homonyme, s’est conclue fin septembre dans une indifférence quasi-générale. Malgré une première saison réussie qui avait dépoussiéré avec une grande inventivité visuelle les codes du genre, la lutte du docteur Goodweather et de ses alliés new-yorkais contre le Master avait pris par la suite un rythme poussif de série B sans conviction dont elle ne s’est jamais relevée.
American Horror Story : l’horreur politique passe mal
En faisant de l’élection surprise de Donald Trump à la Maison Blanche le point de départ d’un séisme horrifique contemporain, la septième saison étonnement réaliste de l’anthologie horrifique de Ryan Murphy a tendu un miroir effrayant à une Amérique qui a bien besoin de lutter contre ses démons intérieurs. La peur et la rage y sont envisagées comme les carburants démoniaques d’une société malade, dans laquelle la frontière entre le Bien et le Mal se réduit à une fine membrane. Membrane que Kai Anderson, nerd psychopathe et surdoué, va s’employer à transpercer de toute part en agglomérant autour de lui une secte de clowns criminels issus de toutes les strates de la société, du redneck anti-immigration à la journaliste noire épuisée des humiliations racistes en passant par une jeune féministe bouleversée par un agression sexuelle.
https://youtu.be/qDNmCOzVZ_U
Ce passage glaçant de l’horreur dans le monde réel en forme d’électrochoc, abreuvé aux grandes affaires criminelles modernes (de Charles Manson à la tentative d’assassinat d’Andy Warhol par Valerie Solanas) n’a semble-t-il pas convaincu les spectateurs du show, qui a enregistré avec son season premiere son pire démarrage et voit ses audiences s’amenuiser au fil des épisodes. Le courage de ses artisans, qui ont entrepris de travailler frontalement le mal qui ronge la société, n’a malheureusement pas été récompensé à sa juste mesure.
Slasher, Scream : relectures réussies d’un genre tranchant
La mauvaise fortune des figures de proue de l’horreur télévisuelle a laissé du champ à des challengers aux atours plus modestes, qui travaillent façon hommage le slasher, sous-genre horrifique tranchant mettant généralement en scène une bande de jeunes gens en prise avec un mystérieux tueur adepte des armes blanches. Adaptation par MTV de la saga gore et méta de Wes Craven, Scream s’était révélée l’an dernier convaincante par son énergie teen et sa capacité à jouer de manière ludique avec les technologies contemporaines, et a été récemment renouvelée pour une troisième saison.
Petite pépite Netflix, l’anthologique et bien nommée Slasher s’assume quant à elle comme un geste d’artisan efficace et sans prétention. Après une première saison proche du Halloween de John Carpenter, la seconde volée d’épisodes, titrée Les Bourreaux, est un huis-clôt hivernal meurtrier dans un chalet isolé, dont les protagonistes ne sont pas si innocents que ça. Tous les attendus sont au rendez-vous et, plus que la surprise d’un geste nouveau, c’est l’amour d’une forme connue et épousée avec application qui fait ici mouche.
Stranger Things, Twin Peaks : l’horreur là où on ne l’attend pas
Les gestes horrifiques les plus flamboyants de l’automne se sont nichés dans des séries aux formes et thématiques plus vastes, contaminant les commissures du réel depuis son envers de cauchemars et renouant ainsi avec une capacité de saisissement profond du spectateur. La deuxième saison très réussie de Stranger Things, création fantastique des frères Duffer carburant à l’imagerie 80’s, a ainsi déployé des visions d’horreur stupéfiantes, puisant dans les traumas de l’enfance et les angoisses d’une époque. On se souviendra longtemps de cette gigantesque créature enserrant la ville de ses tentacules d’ombre, ou de la horde de chiens des Enfers surgissant la bave aux crocs d’un puits sans fond.
Un même fond d’horreur a irrigué en éclats déchirants la troisième saison de Twin Peaks, la série culte de David Lynch. Alors que le cinéaste y élargit son monde en une œuvre-somme, il connecte également l’intrigue à des nœuds fondamentaux du Mal contemporain, faisant littéralement surgir les démons de la première explosion atomique. D’une adolescente avalant un insecte mutant dans son sommeil à une mère endeuillée rongée par ses démons intérieurs, les visions horrifiques trouent la narration de manière inattendue, et impactent la rétine, les tripes et le cœur avec plus de force et de justesse que les plus grandes hordes de zombies.
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