Boutiques vintage, festivals d’upcycling, ateliers DIY : la tendance mode est à l’anti-fast fashion et au recyclage.
À la veille de la Fashion Week parisienne, une large foule s’amasse devant La Caserne, incubateur de la mode écologique logé dans le Xe arrondissement de Paris. Le temps d’un week-end, la pépinière de la mode durable, lancée fin 2021, s’associait à la plateforme française Revibe et réunissait vingt-cinq marques émergentes sur les thèmes de l’upcycling – “surcyclage” en français, soit le fait de donner une seconde vie aux vêtements et tissus usagés en les transformant en pièces neuves. Au programme, atelier de tie and dye à base de chou rouge et d’orange, rénovation de pantalons cargo usés et table ronde où l’on cite l’anthropologue militante Jane Goodall.
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Dans le public, des jeunes hyperlooké·es, chaussé·es de baskets vegan Rombaut, se mêlent à des familles du quartier et curieux·euses en quête d’une mode alternative et durable. “J’ai grandi en achetant mes vêtements dans les brocantes ou à Emmaüs à la recherche de pièces uniques. Aujourd’hui, je suis heureux de ne plus passer pour quelqu’un de bizarre et de pouvoir échanger librement autour de ces thématiques qui deviennent de plus en plus communes”, raconte Maxence, 34 ans, vêtu d’une large chemise à rayures bigarrées, fabriquée à partir de stocks d’invendus.
Dans la capitale, les événements de mode durable, “green” ou écoresponsables se multiplient depuis la sortie du confinement, et prennent des visages multiples : immersion dans les années 2000 pour le Britney Market (un rendez-vous nomade, de Marseille à Paris) ou nostalgie pour l’esthétique pop culture au Digger.club. Dans l’un comme dans l’autre, on retrouve des sélections vintage et stands de créations upcyclées, mais aussi des espaces de rencontres où résonne de la musique rétro.
“Il s’agit de créer des safe places qui permettent d’essayer les vêtements et également d’échanger, de se renseigner sur l’upcycling et la seconde main”, explique Chloé Roques, fondatrice du Digger.club, où se côtoient harnais SM en fibres recyclées et sacs composés à partir de baskets Nike. D’après une étude de Thredup – plateforme américaine de revente –, les ventes d’occasion augmentent depuis 2020 et devraient dépasser celles des enseignes de la fast fashion d’ici 2027.
L’industrie de la mode et son autocritique
Si faire du neuf avec du vieux n’a jamais été aussi tendance, c’est également le nouveau mantra du luxe. Pour l’automne 2021, Louis Vuitton proposait des silhouettes utilisant des tissus de seconde main, tandis que Gucci lançait “Off the Grid” – une ligne de vêtements unisexes et d’accessoires sportifs, recyclés ou fabriqués à partir de matériaux organiques. Plus récemment, Balenciaga présentait le programme Re-Sell en partenariat avec la plateforme spécialisée Reflaunt, permettant aux client·es de déposer leurs anciens vêtements et accessoires dans une sélection de boutiques. “Une partie de la mission de la maison est de devenir une entreprise entièrement durable”, assure le communiqué. Depuis plus d’une décennie, le luxe est challengé par les nombreuses actions militantes – la campagne Défi Detox de Greenpeace en 2011, ou plus récemment les actions coup de poing d’Extinction Rebellion.
Si, historiquement, la critique environnementale s’est construite hors de l’industrie de la mode, elle existe désormais aussi en interne. On peut prendre l’exemple de Lidewij Edelkoort, prévisionniste de tendances reconnue par le milieu qui lançait l’Anti-Fashion Project en 2015. En réponse, on observe des mutations dans l’industrie, à la fois au niveau organisationnel mais surtout sur le plan des discours. Imaginer la mode d’après ou des alternatives éthiques est devenu une véritable mode en soi. “Quitte à frôler le greenwashing”, comme le souligne Adrian Kammarti, chercheur en “contre-mode” et professeur assistant à l’Institut français de la mode.
Nouvelles vagues
En 2022, la marge est-elle au centre ? La créatrice Marine Serre, leader de l’upcycling, remporte le prix de l’Andam, tandis que le showroom Sphère de la Fédération de la haute couture et de la mode accueille Kevin Germanier, Benjamin Benmoyal, Alphonse Maitrepierre ou encore Jeanne Friot – autant de jeunes créateurs et créatrices pratiquant la revalorisation de matériaux. “Tout est en fibres recyclées et la teinture est végétale. Tout est produit en France. C’est onéreux, parfois difficile, mais essentiel”, explique Alphonse Maitrepierre, dont les créations articulent esthétique couture et 3D.
De son côté, la créatrice queer Jeanne Friot présentait en juin dernier une collection “no gender” sur le thème de la fête et de la nuit, composée de pièces 100 % upcyclées, réalisées à partir de dead stocks (stocks dormants) ou de tissus écologiques. “J’ai presque des pièces uniques, limitées – à la fin du rouleau de tissu, c’est terminé –, et cela crée la rareté”, explique-t-elle. “On peut noter un glissement : ces jeunes ne se qualifient pas uniquement comme écoresponsables et mettent en avant d’autres revendications : genre et sexe notamment. C’est une façon de montrer que l’écoresponsabilité s’est normalisée pour eux”, analyse Adrian Kammarti. Si les choses changent, le défi pour ces jeunes vagues est de trouver des distributeurs avec lesquels travailler.
Îlot de résistance
Dans le centre de Metz, Théodora Smal (lire p. 18) démontre que s’habiller en friperie n’est plus une pratique fantaisiste. “Pendant longtemps, la seconde main subissait une forme de classisme. Mais aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement d’une question d’argent ou de goût pour une esthétique rétro, mais d’engagement”, commente-t-elle. En 2015, elle ouvrait la boutique vintage Moules Fripes, proposant une sélection de pièces fabriquées avant 1990, non griffées, rangées, réparées si besoin.
Loin d’être anti-mode, cette passionnée d’histoire et de sociologie du vêtement invite à déconstruire le marketing et les lois des tendances : “La mode, ce n’est pas un diktat mais un reflet de la société. Mais les tendances ont pris les devants et oublient la morphologie des gens, leurs goûts, le plaisir de se vêtir. J’ai de nombreuses anecdotes de femmes qui sont entrées dans ma boutique ayant perdu toute confiance en elles, découragées par un système mode dans lequel elles ne se retrouvaient pas. Ici, on apprend à aimer la mode à nouveau.”
Aujourd’hui, le compte Instagram @moulesfripes comptabilise plus de 16 000 abonné·es, démontrant qu’il est possible de construire une mode en marge des institutions dominantes : “Il n’y a rien de calculé dans tout cela. Ce qui m’intéresse, c’est tout simplement de rendre les gens beaux. Je pense que c’est ça, la mode, à la base.”
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