À travers sa marque de vêtements C.R.E.O.L.E, lancée en 2021, le créateur guadeloupéen basé à Paris dessine des masculinités plurielles. Celui qui cite le philosophe Édouard Glissant officie également en tant que DJ, et présentera sa nouvelle collection lors de la Semaine de la mode parisienne. Rencontre.
Le Chinois à Montreuil, 2018 : une nouvelle soirée queer et inclusive réinvente le clubbing parisien. Ouverte à tous·tes, la Créole est une expérience nocturne bienveillante, menée par la photographe française Fanny Viguier et le directeur artistique guadeloupéen Vincent Frédéric-Colombo, qui prolonge un projet photographique lancé en 2014. Rapidement, le succès des soirées attire un large public, venu de tous horizons, et Vincent Frédéric-Colombo met de côté ses projets mode, sans toutefois y renoncer. Il lance C.R.E.O.L.E en 2021, avec une collection intitulée Rhizome and Dystopia – le terme “rhizome” fait ici référence au philosophe martiniquais Édouard Glissant. À travers cet espace artistique supplémentaire, il poursuit le travail décolonial qui caractérise ses autres projets, et dessine une masculinité rompant avec l’idéal type que la mode usuelle présente.
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Après sa collection SS24 inspirée du film Coco la fleur, candidat du réalisateur guadeloupéen Christian Lara, le designer pluridisciplinaire présentera sa nouvelle collection dans le cadre de la Semaine masculine de la mode, qui se tiendra à Paris du 18 au 23 juin, et sera également présent au showroom SPHERE de la Paris Fashion Week qui soutient la jeune création.
Aimeriez-vous dire quelque chose concernant le contexte politique actuel. En quoi, selon vous, la mode peut-elle constituer une réponse ?
Vincent Frédéric-Colombo – Des recherches ont démontré que l’humanité fonctionnerait par cycles, sur des périodes de 80 à 100 ans. Nous sommes dans la dernière phase du cycle de crise avant un renouveau d’insouciance : les acquis sont remis en question, d’où une sensation rétrograde et un accroissement du conservatisme. Nous attendons tous l’apaisement des extrêmes pour revenir à une phase de quiétude consciente. La mode ou le design restent des médiums d’expression, d’identification, de contestation que l’on pense pacifiques plus que moralistes. Mais ils accompagnent les luttes de manière organique par l’usage de symboles fédérateurs.
Dans vos créations, vous vous réappropriez la notion de créolité et la culture créole. Je pense aussi à la dimension queer de vos collections. Est-ce d’autant plus important aujourd’hui ?
Mon travail s’inscrit dans une démarche plus militante que je ne le suis moi-même. Mais chacun peut mener une activité introspective, l’idée étant de comprendre où l’on se place dans le monde et ce à quoi on aspire. Mon identité a toujours été questionnée, et cela a été un moteur. Je cherche à explorer une expression dénuée d’exotisme primaire. Quant à la dimension queer de mes créations, elle vient parfois de mon envie de fluidité entre des formes simples et pratiques, et parfois de mon désir d’utiliser des techniques plus délicates.
Avez-vous l’impression qu’il existe plus de place pour des marques comme la vôtre ? Considérez-vous qu’être au calendrier de la Paris Fashion Week est un symbole politique ?
Être dans le calendrier pour une marque comme C.R.E.O.L.E devient un message fort et symbolique pour un ensemble de cultures peu prises en considération dans le spectre national. Cela ouvre la voie à d’autres pour se lancer avec leur propre histoire, et s’inscrit dans la continuité d’autres marques, comme Casablanca, Maison Château Rouge, où le concept est plus important que le concepteur lui-même. Ces narrations orientent le regard vers une véritable patte artistique et stylistique, proposant de nouveaux référentiels.
Quel est le message de la prochaine collection ?
La résilience ouvre parfois des chemins de traverse, surtout dans les moments les plus chaotiques. Ma prochaine collection SS25 MAGMA 76 met en lumière un sombre épisode méconnu de l’histoire de la Guadeloupe : l’éruption de la Soufrière, en 1976, a entraîné le déplacement de 73 000 personnes du sud de Basse-Terre, contraintes à l’exil pendant huit mois sur leur propre archipel. Ce fut un théâtre sans fin reprenant le traumatisme de l’éruption de la montagne Pelée, et les débats d’opinions entre experts et politiques face à une population inquiète et perdue.
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