Après une première saison intimiste, le militant trans et féministe revient avec un volet dédié aux minorités queer.
Réalisateur, comédien, et activiste, Océan dévoile dès le 17 juin sur France TV Slash la nouvelle saison de sa série autobiographique, Océan : En infiltré·e·s.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans cette saison 2, il donne la parole à différentes personnes de la communauté queer, minorées et invisibilisées par le patriarcat.
Comment as-tu choisi les personnes que tu allais filmer ?
Océan – Je savais déjà de quoi je voulais parler et surtout qui j’avais envie de filmer avant la préparation du tournage. Je suis resté honnête quant à ma subjectivité, il y a autant de personnes trans que de façons de transitionner… Il était impossible de représenter tout le monde, donc autant assumer que ce portrait des transidentités serait partial et incomplet ! Sur la parité, par exemple, je n’ai pas cherché à filmer autant de femmes trans que d’hommes trans, que de personnes non binaires et intersexes, etc. Si on commence à réfléchir comme ça, on ne s’en sort plus et tout devient théorique ! Du coup, il y a plus de personnes transmasculines dans le film, car c’est le cas dans ma vie quotidienne. Pour autant, j’espère pouvoir faire une saison 3, qui bouclerait ce triptyque, uniquement sur un groupe de femmes trans précis qui font un travail militant extraordinaire. C’est une progression naturelle pour moi de parler, quand on est concerné par ce sujet, d’abord de soi, puis de son entourage proche, puis encore de son entourage un peu plus large.
Comment avez-vous trouvé votre légitimité face à ces personnes aux identités multiples présentes dans le documentaire ?
En restant justement à ma place, en me situant et sans tricher. Je pense qu’aujourd’hui, tou·tes les artistes, chercheur·euses, prof, journalistes etc. devraient faire cette démarche de se situer quand iels prennent la parole. Je parle depuis ma place de blanc, bourgeois, quarantenaire, qui peut d’ailleurs agacer beaucoup de gens dans la communauté queer, qui sont elleux moins privilégié·es, et de ce fait, moins médiatisé·es que moi. Comme je suis d’accord avec elleux (même si je n’y suis pas pour grand chose), j’ai proposé aux personnes que vous verrez dans ces 12 épisodes d’avoir ces conversations avec moi. J’ai profité de mes privilèges pour les mettre en lumière aussi, ainsi que leurs problématiques spécifiques. Des problématiques dont le public ne soupçonne parfois même pas l’existence !
Qu’essayez-vous de transmettre avec cette nouvelle saison, à la communauté queer et au public cisgenre ?
La visibilité est très importante, et depuis le début de ma carrière “militante” (avec La lesbienne invisible en 2009), j’essaye de faire le pont entre la communauté et le monde mainstream : lutter contre les préjugés, contre le sexisme (ce qui inclut la lutte contre les LGBTphobies, le racisme, le validisme, le classisme, la putophobie, la grossophobie…) en proposant des œuvres “pop” ou en tout cas abordables, même quand on ne connaît rien au sujet, tout en gardant la radicalité de mon propos et de mes valeurs. C’est un exercice toujours délicat, mais je fais de mon mieux pour y parvenir ! Je pense sincèrement que la communauté queer a trois longueurs d’avance sur tout le monde, et depuis bien longtemps. C’est donc une évidence pour moi de mettre en avant des personnes qui travaillent ces questions, et permettront aux non concerné·es de s’en poser de nouvelles !
Quels questionnements souhaitiez-vous aborder dans la série ?
Je tenais à montrer dans cette saison 2 que les questions qu’on se pose quand on fait une transition de genre ne s’arrêtent pas une fois qu’on a un cispassing et des papiers en accord avec notre identité de genre, bien au contraire ! Avoir un passing donne souvent le sentiment d’être “infiltré·e” dans un monde qui nous percevait différemment jusque-là. Se pose presque quotidiennement la question des choix que l’on fait : quand j’entends des gars faire des blagues sexistes, comment je réagis ? Je ferme ma gueule parce qu’ils sont bourrés et que je ne sais pas me battre (vu que personne ne m’a appris à le faire, merci le sexisme et le milieu bourge !) ou juste parce que je n’ai pas l’énergie de les contredire. Ou bien, est-ce que je monte au créneau quoi qu’il en coûte, quitte à être à nouveau perçu comme “différent” ? Quand je me retrouve dans un groupe où personne ne me connaît, est-ce que je fais mon coming out direct ou est-ce que j’évite ? Si je sens que ce n’est pas un environnement safe, ou que je n’ai pas envie de me taper la soirée à expliquer “c’est quoi la transidentité” et répéter “non, ce n’est pas bien de demander si on a fait ‘l’opération’” ? Suis-je un traître à mon peuple si je profite de mon passing pour avoir un moment de sérénité où on va me parler d’autre chose que ma transidentité ?
Finalement, je trouve qu’on ne se pose presque davantage de questions quant à notre façon de socialiser que quand on rêve en secret de transitionner ! Je trouvais ça marrant de le montrer à l’écran, ainsi que toutes les situations ubuesques auxquelles on est confronté du fait de notre passing.
>> À lire aussi : A la découverte de l’artiste queer Lysa Irene Velasquez
Vous abordez également la question des vêtements…
Les vêtements sont le reflet de ces questionnements : les phases où je n’ai plus envie d’être perçu comme cis, je vais modifier ma façon de m’habiller en me dirigeant vers des vêtements que je pique dans l’armoire de ma BFF Sophie-Marie. Je ne serai pas nécessairement perçu comme trans, mais au moins je serai perçu comme pédé, ce qui est déjà mieux que de passer pour un homme cis hétéro à mes yeux ! Mais en même temps, avoir un passing gay peut me confronter à de la violence, dans la rue par exemple, et à des malentendus en soirée… La question des vêtements évolue au fil du temps et aussi en fonction des lieux de socialisation : si je sors à la Mutinerie, un bar queer de Paris ou à une soirée queer, je vais vouloir être perçu comme trans à tout prix et chercherai l’expression de genre la plus fluide possible, alors que si je vais en Ukraine (je vais rarement en Ukraine mais bon, tu vois l’idée) ou à la Défense voir mon banquier, j’aime autant m’habiller sobrement et dans un style masculin histoire de m’éviter les problèmes ou les regards condescendants…
Mais je dois avouer malgré tout que j’ai toujours aimé les fringues “de garçon” et que pour le moment, j’ai encore beaucoup de plaisir à m’habiller comme un mec basique qui a 8 fois le même tee-shirt dans sa garde-robe en différentes couleurs unies (boring AF évidemment) et qui s’encanaille le samedi soir avec une chemise hawaïenne chatoyante, oulala le grand fou !
Quelle place occupe votre intimité dans ce récit ?
J’ai toujours travaillé autour de l’intime et à partir de moi, persuadé que plus on est sincère et proche de soi, plus on peut évoquer des questions collectives. Montrer ma famille, mes ami·es et ma vie amoureuse a fait partie de mon processus documentaire dès la saison 1. La famille et les ami·es, c’était avant tout pour sortir du cis gaze : pour une fois, le film n’était pas l’histoire d’une personne trans regardée par une personne cis, mais le regard d’une personne trans sur elle-même et sur les personnes cis. Cette fois, ce n’est pas nous qui sommes regardé·es comme des petits animaux rares, des Pokémon, mais moi qui regarde ma mère et mes potes réagir (très bizarrement à mon avis !) à mon annonce. Il me semblait important de montrer la “suite” de ces aventures, et comment ma mère et Mika en particulier avaient bougé – ou pas – depuis la saison 1.
Il est aussi question de vos histoires d’amour, pourquoi avoir choisi de les filmer ?
Pour les histoires d’amour, c’est encore autre chose : dès la saison 1, j’ai voulu filmer mes rencontres amoureuses parce que je sais (pour l’avoir vécu) à quel point quand on transitionne, on a la terreur de ne plus plaire à personne, de ne plus être désiré·e, parce que la transphobie est réelle. Quand j’ai rencontré Charlie puis Andrea saison 1, je trouvais ça important d’envoyer ce message aux plus jeunes trans, leur dire de garder confiance, de croire en elleux, parce que bien sûr, nous restons désirables et attirant·es lors de notre transition, nous le sommes sans doute même plus encore, puisque nous sommes mieux dans notre peau !
Dans la saison 2, l’histoire d’amour vient montrer que justement, quand on a un cispassing, on peut aussi soudain plaire à des personnes qui ne nous voyaient pas. Cette rencontre permet aussi d’aborder la question de la transernité et des questions que l’on se pose quand on a gardé son utérus et que l’on rencontre quelqu’un qui a un désir d’enfant.
Comment gérez-vous votre visibilité médiatique ?
C’est un tiraillement. Cette visibilité est nécessaire pour que je puisse continuer à travailler, donc je n’ai pas le choix que de me prêter à l’exercice médiatique, et je prends d’ailleurs régulièrement plaisir à le faire quand je tombe sur des journalistes averti·es et bienveillant·es, qui cherchent aussi à faire changer les mentalités et à porter nos voix.
Mais c’est parfois (souvent ?) difficile, parce qu’en effet, le sujet n’est toujours pas maîtrisé, les questions peuvent être déplacées ou intrusives, violentes même. Quand on s’en plaint, on se prend des “c’est trop compliqué, on n’y arrive pas”. Je trouve que c’est d’une profonde mauvaise foi parce qu’au fond, on ne demande pas grand-chose. Comme je le dis dans l’épisode 2 avec Mika, si tu as appris les mots “swiper”, “liker” ou “test antigénique” et “PCR”, c’est a priori que tu es capable d’intégrer des nouveaux mots à ton vocabulaire, tels que “cisgenre”, “deadname”, “cispassing” et “non binaire” ! Parfois, je n’ai plus l’énergie d’aller répondre à des interviews, parce qu’il y a de grandes chances que mes propos soient mal compris ou déformés et que je me fasse taper dessus après par la communauté, parce que je prends trop de place et que je ne dis pas ce qu’il faut.
>> À lire aussi : Louise Parent, figure de proue du mouvement Body Positive (mais pas que !)
{"type":"Banniere-Basse"}