De “nepo baby” fan de mode, à It-girl des années 1990, la réalisatrice récompensée, Sofia Coppola, s’est nourrie de mode et a su faire du vêtement un élément pivot de ses films. À l’occasion de la sortie à venir de son film “Priscilla”, retour sur les liens entre Coppola et la mode.
Les faux cils sont encore dans leur boîte, alors qu’elle ajoute du rouge sur ses lèvres et laque ses cheveux de jais en épais brushing : dès les premières minutes de la bande-annonce de Priscilla, la future Mme Presley expose les ressorts de la féminité comme performance – et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de celle rêvée et projetée sur elle par son futur époux Elvis, de dix ans son aînée.
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C’est le récit de cette jeune lycéenne de 14 ans, et non du King, que Sofia Coppola raconte dans son huitième long métrage, fidèle à ses marottes contant les transitions de vie, et récits de femmes composant dans des prisons rose macaron.
Construction d’une identité visuelle
Présenté début septembre à la 80e Mostra de Venise, durant laquelle la jeune actrice Cailee Spaeny a remporté le prix d’interprétation féminine, le film présente une esthétique minutieuse et avide des gros plans filmant les objets a priori futiles permettant aux jeunes filles de se transformer et de s’inventer. Les fans reconnaissent le style Coppola et se souviendront des commodes fourmillant de bracelets enfantins, bouteilles de parfum d’adulte et Sainte Vierge des sœurs Lisbonne dans Virgin Suicide, ou les plans sur la bande du Bling Ring déambulant dans le dressing surpailleté de Paris Hilton.
“On est considéré comme superficiel et idiot si l’on s’intéresse à la mode, mais je pense que l’on peut être substantiel tout en s’intéressant à la frivolité.” déclarait Sofia Coppola, en 2017, aux magazines de mode Epoch.
Un sens du superficiel essentiel, une composition de l’image tel un tableau de mode : la dimension esthétisante de l’univers de Coppola, rappelant en certains points la minutie de Wes Anderson, forge l’œuvre d’une fan de mode et idole des pages style, devenue réalisatrice récompensée de Cannes à Venise. Retour sur ce que Sofia Coppola doit à la mode, et ce que le cinéma doit à Sofia Coppola.
Quand l’underground devient pop
Un stage avec Karl Lagerfeld à 15 ans, une couverture du Vogue Italie par Steven Meisel à 20 ans : un chemin de nepo baby sillonnant la mode de luxe et les créateurs dont elle se détourne en partie.
En 1992, elle aide son amie Kim Gordon de Sonic Youth sur son label XGirl cocrée avec la styliste Daisy von Furth. L’idée ? Imaginer le starter parck de la skateuse californienne, prenant pour égérie la jeune Chloë Sevigny, juste avant Kids de Larry Clarke. Un an plus tard, Coppola lance sa propre marque Milkfed, composée de pièces basiques imprimées de slogans à typographie rock ou portrait du Che Guevara. Les lignes exclusivement distribuées au Japon s’inscrivent rapidement dans les vestiaires streetwear locaux.
Sofia Coppola explore la mode côté subculturel plutôt que salons de couture. Comme si elle comprenait que le monde avait changé : les pages de The Face et iD articulant musique et style concurrencent les magazines à couverture glossy, le visage dépourvu de maquillage de Kate Moss s’affiche à côté de celui des top modèles, et les silhouettes de working girls laissent placent au chao grunge comme l’illustre Marc Jacobs chez la marque Perry Ellis en 1992 : “Elle voulait me rencontrer, et quand nous nous sommes vus, ça a été l’amour au premier regard pour moi” racontera plus tard le créateur à propos de Sofia Coppola, qui succombe à sa collection. Rapidement, ils deviennent amis et ne se quittent plus. Il l’invitera à imaginer les films publicitaires pour les parfums de sa marque, et même à designer un sac en 2009 chez Louis Vuitton.
Surnommé en 1994 “Fille du moment” par W Magazine qui décrit son style entre casual et baby doll, Coppola ne se contente pas du statut de muse et porte un regard nouveau sur une industrie de la mode qui s’hybride. En 1994, elle s’associe à Zoe Cassavetes et lance Hi Octane !, un objet vidéo découpé en 4 épisodes de 22 minutes diffusé sur Comedy Central, décrit par cette dernière comme “Alerte à Malibu mais avec des voitures”. La formule de ce laboratoire d’images pop ? Des invitées célèbres — allant de Keanu Reeves à Karl Lagerfeld, des sketches, des questions absurdes, un montage saccadé. On découvre Anna Wintour dans son bureau, qui se remémore son premier défilé — un temps où les rédactrices démontraient leurs rangs en exposant des gants blancs, tandis que Coppola s’incruste à un show Anna Sui avant une séquence montrant un concert de Beck, puis Gus Van Sant dans une voiture annonçant un futur composé d’objets portables prenant des photos qualité cinéma. L’iPhone ?
Antithèse de ses films, mais aussi de la sémiotique usuelle de la mode, Hi Octane ! est monté tel un zapping géant, reflet des nouvelles pratiques de consommation de l’image, ou les codes hétérocycles se succèdent et s‘assortissent : la culture de la célébrité rencontre la mode, les top-modèles sortent avec des rock stars. Les images de mode son cinéma et le cinéma s’inspire de la mode.
De l’image de mode à l’image cinéma
C’est d’ailleurs Corrine Day, photographe emblématique de The Face ayant immortalisé Kate Moss en marcel patientant dans des chambres d’ado dépouillées, qui signera l’affiche de son premier long métrage Virgin Suicide, en 1999, comme pour illustrer le mariage avancé entre les deux industries de l’image.
“Pour The Virgin Suicides, il s’agissait toujours de magazines, car j’avais un grand tableau d’affichage sur lequel j’épinglais tout ce qui attirait mon attention. Je préparais toujours un livre d’images inspirationelles que je remettais aux acteurs et à l’équipe lorsque je leur soumettais le scénario” expliquait Sofia Coppola à Vogue en avril dernier.
Dans The Cinema of Sofia Coppola, la professeur en théorie de la mode Suzanne Ferriss rappelle les inspirations fétiches de Coppola : la composition de Guy Bourdin et Helmut Newton ou encore une couverture de Vogue avec Manolo Blahnik et Anjelica Huston photographiés en 1973 par David Bailey inspiré par Un chien andalou de Luis Bunuel — soit des photographies elles-mêmes inspirées par le cinéma.
“En 1970, les photographies de mode sont de plus en plus narratives” rappelle l’actrice. Ces images se mêleront au code nineties de The Face dans Virgin Suicide, tandis que pour composer The Bling Ring ce sont les codes mode de la fin des années 2000 que l’on devine — soit un mélange entre street style paparazzié de célébrité, pose mannequin à la Victoria Secret, télé réalité et gros plan sur it-bag et lunettes noires de type publicitaire.
Si les films de Coppola ne traitent pas de la mode à proprement parler, ils documentent l’évolution des codes visuels de cette dernière.
Par-delà la mode
Décrite comme “sandwich publicitaire” par David Schneiderman en 2009 dans Libération, pour ses collaborations publicitaires avec plusieurs marques au fil des années 2000 — de Dior à Gap, Coppola parvient à déborder la mode quand elle orchestre dans ses films. Dans Lost in Translation, les scènes de rue et les karaokés ancrent le film dans le Tokyo des années 2000, mais les chambres d’hôtel anonymes et les vêtements sombres et minimalistes reflètent la dislocation temporelle des personnages.
Dans Somewhere, la star d’action Johnny Marco, interprété par Stephen Dorff, rappelle James Dean et Marlon Brando avec ses jeans et T-shirt blanc. Perdu dans l’hôtel mythique et anachronique, il semble lui aussi être le fantôme d’une masculinité image qui n’est plus de son temps, tandis que le smoking pourvu de pinces du personnage interprété par Bill Murray dans Lost in Translation indique le malaise comique qu’il éprouve dans les costumes à la Fred Astaire ou James Bond.
La garde-robe de Coppola s’insère dans la trame narrative, permettant de sans cesse questionner l’identité. ”Les films de Coppola mettent en scène des personnages à des moments clés de la définition ou de la redéfinition de soi : adolescence, crise de la quarantaine, mariage, divorce et même voyage. Ils façonnent ou défaçonnent” résume Suzanne Ferriss.
Façonnée par les images de mode cinématographique, et un cinéma entre underground et mode, Sofia Coppola occupe, quoi qu’il en soit, une place unique dans la jonction de ces deux industries.
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