La tendance actuelle autour d’un sexy remis à jour interroge la question de la visibilité et de la disponibilité des corps vers un retournement du stigmate.
De la peau nue, encore et encore. Sanglée chez Balmain ou lacée chez Ludovic de Saint Sernin ; voilée-dévoilée dans des jeux de transparence chez Coperni, jaillissant de combinaisons ajourées chez Stella McCartney, ou de tailles – très – basses Miu Miu. Cette saison, la presse mondiale est unanime : le sexy occupe l’avant-scène des défilés, tout particulièrement parisiens.
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Présente dans 63,6 % des collections selon le moteur de recherche spécialisé Tag Walk, la tendance se démarque dès lors par une grammaire du dénudement tournant le dos aux canons hétéronormés dominants. “On voit surgir des esthétiques et des termes comme le “unveiled”, le “bodycon”, le “cut-out”, et tout un nouveau regard sur le corps féminin – que l’on peut directement associer à un climat d’après Me Too, de revendications de soi et de son corps”, analyse Alexandra Van Houtte, fondatrice de Tag Walk.
Retourner le “male gaze”
N’apparaissant qu’en pointillés depuis le porno chic des années 2000, ce renouveau du lubrique est difficilement isolable d’un climat actuel où le corps féminin se fait le lieu de crispations politiques, patriarcales et territoriales. À l’heure des débats autour du consentement, mais aussi du crop top dans les lycées et de la censure des réseaux sociaux, cette mode sexy permettrait-elle de reprendre possession de ce que Geoffroy de Lagasnerie nomme le “corps-objet”, prétexte et non sujet d’un exercice de domination ?
En faisant glisser des éléments de lingerie dans un vestiaire du quotidien, comme le font Ester Manas, Alexander McQueen ou encore Givenchy, ces marques matérialisent at actualisent les adages féministes du “personnel comme politique” et du “corps comme champ de bataille”, auxquels elles fournissent, par le style, des outils de communication non-verbaux.
“Ce sexy est à appréhender comme une arme, un potentiel de réappropriation et non de séduction, qui passe par l’usage de références féministes et d’associations à une codification forte et non passive”, analyse Alice Litscher, professeure à l’Institut Français de la Mode. Conscientiser et retourner le “male gaze” : voilà un discours que l’on entend également tout au long de la fashion week, bureaux de presse, critiques de mode et coulisses de défilés compris. À comprendre : le déliement du signifiant et signifié, du sexy et de l’assujettissement, pour injecter dans cette esthétique de nouveaux récits et horizons féminins.
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Hacker son enveloppe
Ainsi Mugler, Ottolinger et Coperni créent des armatures et des protubérances qui enveloppent et remodèlent les corps loin d’une silhouette naturaliste, vers une féminité-cyborg. Air du temps ou référence au Cyborg Manifesto de Donna Haraway, on peut lire dans ces enveloppes hybrides la possibilité d’un corps en métamorphose échappant à sa destinée.
Hacker sa propre enveloppe, la modifier, augmenter ses possibilités, c’est aussi quelque chose qui transparaît dans les silhouettes de Rick Owens cette même saison : non plus binaire mais concurrentielle à la figure du dominant, la femme qu’il imagine est harnachée de protections et de courroies, de vinyle et de cuir, quelque part entre bondage et militarisation. Là, c’est un imaginaire féminin guerrier, présent dans l’inconscient collectif, qu’il convoque, de Xénia la guerrière à la déesse de la guerre Athéna.
Critique genrée autant que sociale chez Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière, lui, met en scènes des crinolines aristocratiques déstructurées, qui viennent se frotter à des coupes urbaines et fluides – réflexion sur le luxe traditionnel et sa production de féminités pacifiées, vers une critique des carcans de classes ?
Ce regard fait également écho à une nouvelle scène actuelle de jeunes créatrices revendiquant une allure féminine autant que féministe, dont Nensi Dojaka, gagnante du prix LVMH 2021 pour sa lingerie d’extérieur, ou Mirela Cerica et son glamour nineties pensé pour les femmes actives.
Chacune interroge des sphères dites de femmes et la démarcation entre domestique et social, intérieur et extérieur, vers un appel à une meilleure connaissance de soi : “La beauté du sexuel ne peut se faire que si cela rime avec liberté et confort du corps, autant que la découverte et le respect de soi et ses désirs privés”, explique Mirela Cerica de son usage de fentes et décolletés modulables. L’intime comme performance, pour un féminin en filiation autant qu’en devenir ?
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