Au top de la tendance capillaire, le stone blonde, une façon d’assumer clairement l’artifice tout en déjouant ce canon de beauté aussi ancien que complexe.
Elle, c’est Karley Sciortino, chroniqueuse sexe pour le Vogue US. Entre pin-up des années 1950 et héroïne hitchcockienne façon Kim Novak, sa blondeur possède une force narrative qui vient habiller son personnage de mille fantasmes. La nuance choisie est – la presse de mode nous l’assure – le must de 2020 : connue sous le nom de “stone blonde”, celle-ci se pare d’un pseudo-naturel mâtiné de racines sombres assumées.
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Karley mène la danse de la tendance des authentiques fausses blondes qui a sévi tout l’été sur bon nombre d’illustres têtes. Kim Kardashian, Kylie Jenner, les tops Kaia Gerber et Emily Ratajkowski, l’actrice Amandla Stenberg ou encore la chanteuse Ciara, toutes habituellement de “longues dames brunes”, sont passées au blond. Consciemment ou non, ces starlettes se sont ainsi inscrites dans une longue histoire capillaire : à la fois fantasme, idéal, signe de sainteté, de pureté et, paradoxalement, de vacuité, de vanité et de vulgarité.
Le blond, une histoire ambivalente
Ce paradoxe vient de loin. Dans la mythologie grecque, Aphrodite, déesse de l’amour, ensorcelle les hommes grâce à sa crinière blonde, marque de beauté divine évoquant l’or et le soleil. Néanmoins, ce canon gagne une tout autre connotation quand, dans la Grèce antique, il devient associé aux prostituées, qui ont pour habitude de s’éclaircir les cheveux (en utilisant de la graisse de chèvre, de l’urine d’âne ou encore des cendres de hêtre). Le blond gagne sa fameuse lecture binaire, simultanément angélique et hypersexualisée.
A travers l’histoire de l’art européen, la blondeur est perçue comme une manifestation de perfection et de candeur : elle illumine le visage de la Vierge Marie et des chérubins dès le Moyen-Age, en Italie comme en France. Néanmoins, son pendant houleux la rejoint vite : à la Renaissance, Lucrèce Borgia, fille illégitime du pape Alexandre VI et de sa maîtresse, devient la muse de nombreux peintres et écrivains pour sa crinière aux reflets de blé. Et jouit d’une réputation paradoxale, de séduction perfide – aidée en cela par une famille hautement corrompue – autant que de fragilité naïve.
Cette dernière qualité contribue à complexifier l’histoire de la blondeur : rapidement, cette innocence louée devient associée à une sorte d’infantilisme (ne dit-on pas “les chères têtes blondes” ?), d’immaturité, puis, de fil en aiguille, à de la bêtise. En 1775, la pièce Les Curiosités de la foire se moque de l’intellect de moineau attribué à la courtisane blonde Rosalie Duthé, source de désir autant que de railleries.
Une ambivalence que l’on retrouve au fil de la carrière de Marilyn Monroe, notamment dans le film Les hommes préfèrent les blondes de Howard Hawks (1953), où elle joue les pimbêches aux côtés de la tout aussi cliché Jane Russell, brune et piquante.
La dichotomie entre les deux teintes et personnalités remonte à la littérature romantique, selon le sociologue Michel Messu, et est encore en vigueur dans le cinéma. On peut penser au duo de Naomi Watts et Laura Harring dans Mulholland Drive de David Lynch (2001) ou à Penélope Cruz et Scarlett Johansson dans Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen (2008). Encore et encore, la blonde se meut en manifestation patriarcale, idéalisée et objectifiée, célébrée pour des traits nécessitant plus que jamais un homme viril à ses côtés.
Le blond comme symbole de domination
La blondeur associée à des yeux bleus est un symbole de domination depuis les études racialistes au XIXe siècle qui sera récupéré par l’ère nazie, y voyant les preuves d’une race pure et dominante.
En Amérique, l’idéal de l’“American Beauty” emprunte les mêmes traits (Barbie, Pamela Anderson, Britney Spears). Ceux-ci viennent servir un autre but, ancré dans l’histoire esclavagiste : comme l’écrit la sociologue Françoise Burgess dans The White Woman : The Black Woman’s Nemesis, la blancheur et les cheveux clairs sont associés dans l’inconscient collectif à la fille du possesseur de plantation, dont la carnation vient se poser en contraste et hiérarchie avec la femme afro-américaine, dévaluée ainsi physiquement et moralement.
On peut ainsi penser à ce critère de beauté hautement politique comme une manifestation de ce que Michel Foucault nomme le “biopouvoir”, où la gouvernance de l’individu passe par le contrôle des corps et la régulation des apparences.
On peut donc se demander pourquoi nos fausses blondes – en grande partie américaines – viennent endosser un tel symbole. Mais en gardant les racines noires, en choisissant des couleurs qui refusent le naturel (comme le platine tirant sur le blanc de Kim Kardashian), elles font du blond un élément performatif, tout aussi construit et artificiel que les attributs qu’il incarne, et à la portée de tou·tes.
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