Probiotiques et algues composent la ligne de vêtements minimaliste Skin II, élaborée par la chercheuse et créatrice britannique Rosie Broadhead. Rencontre avec celle qui incarne peut-être l’avenir de la mode.
Plutôt que d’avaler des probiotiques, il est désormais possible de les porter – comme Kylie Jenner. En juin dernier, la benjamine de la famille Kardashian arborait un justaucorps bleu givré sur son compte Instagram suivi par plus de 379 millions de personnes. À l’œil nu, impossible de deviner que la pièce minimaliste se compose de plusieurs millions de bactéries saines, naturellement présentes sur notre peau, qui permettent de renforcer le système immunitaire.
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La responsable de cette prouesse, dépassant tout scénario de science-fiction, se nomme Rosie Broadhead. Basée entre Londres et Bruxelles, elle développe avec le microbiologiste Chris Callewaert, docteur à l’université de Gand, des textiles tissés de bactéries ou d’algues permettant de régénérer la peau ou encore de diminuer la transpiration.
Articulant mode, technologie et science, une partie de son quotidien se déroule en laboratoire, bien loin d’Instagram. Observation au microscope, développement de protocoles et batteries de tests : son but est de proposer des tissages bactériens grand public, qui résistent aux lavages et à la chaleur – en somme, adaptés à la vie quotidienne.
“L’attention se focalise beaucoup sur la nourriture ou les cosmétiques que nous appliquons sur notre peau. Peu d’études questionnent la manière dont les vêtements affectent notre corps, alors que nous faisons peau avec eux ! La recherche sur le microbiome textile s’est développée récemment et étudie comment nos vêtements s’adaptent aux microbiomes, soit les micro-organismes que l’on retrouve à la surface du corps de celui qui les porte. Par conséquent, dans un sens plus littéral, nos vêtements deviennent nous, explique-t-elle.
Un vêtement qui s’adapte au corps
En 2015, après un cursus en mode masculine, Rosie Broadhead enchaîne les postes de designer dans des maisons de sport, comme la marque Rapha consacrée au monde cycliste ou Perfect Moment, dédiée au ski de luxe. Dans un univers où le vêtement est pensé pour répondre à des problèmes concrets, elle développe son expertise tout en déplorant la surutilisation de matériaux synthétiques toxiques comme le polyester, le nylon et les matières plastiques à base de pétrole.
“Dans la majorité des projets que je faisais, le corps était manipulé et devait s’adapter au vêtement. Je voulais emprunter le chemin inverse et repartir du corps lui-même pour développer un vêtement qui puisse le guérir. Une partie de mon questionnement était de trouver quelque chose qui existe déjà sur le corps et de l’intégrer au vêtement. C’est pour cela que je me suis tournée vers les microbiomes de la peau.”
Afin de nourrir sa réflexion et de trouver des solutions, Broadhead reprend le chemin de l’université et se tourne vers le parcours de recherche Material Future de Central Saint Martins. Designs spéculatifs, anticipant les besoins de demain, l’approche transdisciplinaire permet à Broadhead de rencontrer Chris Callewaert, avec qui elle travaille encore aujourd’hui autour de l’utilisation des bactéries naturelles. “J’ai déménagé en Belgique à la fin du cursus en 2019 pour me consacrer pleinement à cette recherche. Cela demande du temps. Quand vous travaillez avec des organismes vivants, il faut également développer tout le système qui va avec.”
Changer les pratiques de consommation
Aujourd’hui, Broadhead se confronte aux pratiques de surconsommation et aux constructions culturelles bactériophobes, soit les imaginaires antibactériens qui oublient que certaines sont essentielles à notre santé.
Pour éveiller les consciences, elle déploie une communication articulant art et culture, notamment à travers le projet Surface Tension cofondé avec l’écrivain et mannequin Wilson Oryema. Axé sur la relation du corps humain aux matériaux, iels proposaient en 2022 une exposition virtuelle mêlant chemises fabriquées à partir de carapaces de crabes, chaussures composées de micro-organismes favorisant la santé des pieds ou encore sous-vêtements intelligents pour surveiller la santé vaginale.
“Je m’intéresse à tout ce qui peut changer notre corps et notre état émotionnel : les hormones, les sons et fréquences… Actuellement, je débute des recherches pour développer des vêtements adaptés à d’autres zones du corps, ce qui signifie travailler avec d’autres bactéries spécifiques”, commente la chercheuse et designer. Et de préciser : “Le plus grand défi, désormais, c’est de parvenir à développer ces lignes de textiles probiotiques à plus grande échelle. Cela occupe une large partie de mon temps.”
Engagée dans la révolution vers une mode basée sur la biologie, la chercheuse entrevoit un vêtement adapté à la vie. “Ce n’est pas une perspective transhumaniste : il ne s’agit pas de modifier le corps, mais de l’écouter et de le soigner, de le nourrir. Les bactéries existent par elles-mêmes sur nos corps. Il s’agit de les réintroduire de manière saine. Il s’agit tout simplement d’utiliser ce qui est déjà présent.”
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