Bouquet à l’horizontale à la fois composé et déstructuré, l’Australienne Lisa Cooper, docteur en philosophie, pense les fleurs comme un médium émotionnel capable d’éveiller l’humanité. Elle a travaillé pour Hermès, Cartier ou Dries Van Noten. Entretien.
8 h du matin à Sydney, une bouilloire siffle à l’autre bout du fil. C’est celle de Lisa Cooper, docteur en philosophie. Elle arrive tout juste chez elle, dans son atelier, ou elle compose depuis dix ans des sculptures florales, dérogeant les standards du bouquet académique. Ces derniers jours, elle demeurait à 16 950 km d’ici, à Paris, où elle présentait quelques-unes de ses créations : bouquet et recueil photographique, dans la galerie du magasin ICICLE, avenue George V.
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Soutenue par Sarah Andelman (Colette) qui a édité son livre dans la collection mode et design de Just an Idea, mais aussi par Dan Thawley éditeur en chef du pointu A Magazine Curated by, la fleuriste est applaudie par la scène créative parisienne. Sur Instagram, elle réunit 70 000 followers. Elle y dévoile quotidiennement ses compositions horizontales, dignes de peintures italiennes de la Renaissance. Têtes d’hortensia flottantes envahies d’épais rubans, fleurs exotiques pourpres et granuleuses mêlées à des grappes de raisin violacé, ou encore des plantes aux allures de pompon s’échappant de vases comme emportées par la gravité : les sculptures se succèdent et trouvent des centaines de likes d’approbation.
“Quand j’ai commencé à travailler avec des fleurs il y a dix ans, on me répétait que j’entamais une quête solitaire”, raconte-t-elle alors que la bouilloire cesse son sifflement. Il faut croire qu’“on” a eu tort !
La poésie de l’ordinaire
Au cours de ses études en Australie, Lisa Cooper s’adonne à diverses praxis artistiques (performance, installation vidéo tout en explorant la philosophie), sans parvenir pleinement à conjuguer théorie et mise en œuvre. Au hasard d’un job étudiant, elle découvre le métier de fleuriste qu’elle décrit comme une révélation : À la minute où j’ai posé mes mains sur les fleurs, j’ai tout de suite senti que je pouvais les commander d’une manière pour moi inédite. J’étais en mesure d’appliquer toutes les choses que j’avais apprises, comme la texture, la couleur et la forme dans la peinture”, se souvient-elle.
Elle se consacre alors au métier d’artisan-fleuriste, apprend et compose, articulant fleurs, fruits et légumes de saison dans une esthétique simultanément brossée et débridée. “Mon père était artisan-boucher, mais aussi très philosophe sur sa pratique. Il m’expliquait souvent que ce qu’il faisait dans son métier était apparenté à la sculpture. Je pense que cela m’a appris à regarder ce qu’on catégorise comme “ordinaire” autrement. C’est aussi une volonté de défendre l’artisanat”.
Un art poétique et politique
Rapidement, ses compositions tapent dans l’œil du monde de la mode. Publiée dans Vogue, elle travaillera avec Dior, Hermès, mais aussi avec le créateur Dries Van Noten connu pour son amour de la nature. “Je pense que dans mon travail comme dans la mode, il existe une faculté à transcender l’ordinaire, montrer la vie de manière fabuleuse. C’est aussi beaucoup de travail en atelier, souvent peu reconnu”.
À travers ses compositions, Lisa Cooper articule art et artisanat, ordinaire et extraordinaire, et module un nouveau regard sur la nature qui n’est pas dénué de dimension politique. “Quand une fleur est de saison, et dans son environnement naturel, c’est là qu’elle est la plus belle. Il y a aujourd’hui ces roses importés, servant à des compositions terribles…”, déplore-t-elle avant d’ajouter : “L’art et la politique sont intimement liés, et ce, depuis toujours. Les fleurs ont leur place également : souvent utilisées pour leurs symboliques et elles nous rappellent combien la vie est éphémère. Avec chaque fleur, nous prenons conscience de notre humanité, et de notre vulnérabilité car elles semblent nous apprendre comment vivre et mourir avec une grâce totale.”
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