Pour sa 7e édition, du 7 au 26 juin prochain, le Refugee Food Festival convoquera un peu partout en France une brigade de chefs cuisiniers réfugiés. Pour l’occasion, nous avons rencontré Doha, une cuisinière libano-syrienne, dont les pâtisseries seront proposées chez Emma Duvéré. De quoi ravire vos papilles, on vous le promet !
Informer, sensibiliser, lutter contre les préjugés sur les réfugié·e·s et rassembler autour d’une table aux mille et une saveurs. Voici le leitmotiv de Refugee Food, une association qui œuvre depuis 2016 pour l’insertion professionnelle des réfugiés dans la restauration, le partage des cultures, et travaille quotidiennement auprès des plus démunis pour apporter une alimentation saine et savoureuse.
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Soutenue par l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés et en coopération avec une multitude d’associations, Refugee Food travaille sans relâche pour apporter aux personnes exilées la qualité de vie qu’elles méritent.
À l’occasion du Refugee Food Festival, une dizaine de villes et près d’une centaine d’établissements ouvriront leurs cuisines à des chefs réfugiés pour des collaborations culinaires uniques. Du restaurant étoilé à la cantine de quartier, plus de 400 restaurants se sont mobilisés depuis la création du festival, accueillant 312 cuisiniers réfugiés issus de 56 pays différents. Une initiative citoyenne et essentiellement bénévole qui met en lumière le talent de réfugiés venus du monde entier.
Les pâtisseries libano-syriennes de Doha
Rendez-vous chez Emma Duvéré, une jolie pâtisserie artisanale du 11e arrondissement de Paris qui porte fièrement son label Ecotable. Ici, les produits de saison, biologiques et locaux donnent vie à des douceurs faites maison et sans produits ajoutés. Lorsque Refugee Food a approché Emma Duvéré, celle-ci a trouvé l’idée géniale.
C’est ainsi qu’a débuté la collaboration culinaire d’Emma et Doha Elkhaldy, une cuisinière réfugiée libano-syrienne. “Participer à un évènement aussi important et chouette que le Refugee Food Festival et rencontrer Doha m’a beaucoup motivée. Dans cette collaboration, c’est surtout Doha qui apporte son talent et moi j’y ajoute ma touche. J’aime beaucoup les saveurs orientales, je les utilises moi-même beaucoup. Être accompagnée d’une personne telle que Doha, qui connaît bien ce genre de cuisine et de pâtisserie, c’est super. On mélange les genres et les cultures”, nous explique Emma avec un large sourire.
Arrivée en France en 2017, Doha débute comme traiteur dans le restaurant syrien de son époux et suit une formation de pâtisserie en ligne. Un métier qui s’est révélé comme une évidence. “J’ai compris que j’étais passionnée par la cuisine, tout particulièrement par le fait de dresser, présenter et décorer mes créations. Je ne comprenais pas et ne parlais pas bien le français, alors la cuisine est devenue un moyen d’expression, un langage que je pouvais utiliser pour communiquer avec les autres. Je suis libanaise et syrienne, cette cuisine je la tiens de mon mari mais aussi de ma famille et tout particulièrement de ma mère. C’est une très bonne cuisinière. Je mixe mes deux origines et leurs deux saveurs pour créer mes propres plats”, raconte Doha.
Mère de quatre enfants animés par la même passion, la cuisine est devenue une véritable histoire de famille. “Mon mari est parti ouvrir un nouveau restaurant au Caire. Je vis donc seule ici avec mes enfants. Je veux prouver à mes enfants que je peux travailler et réussir dans mon travail moi aussi”, nous confie-t-elle. Doha est présente dès les débuts de l’association Refugee Food et s’implique depuis ce jour dans de nombreux évènements et ateliers de cuisine. Cette année, elle accompagnera Emma du 14 au 25 juin pour proposer deux savoureuses pâtisseries : un baklava de purée de fruits et crème fouettée, ainsi qu’un gâteau de semoule et noix de coco connu sous le nom d’harissa.
Une collaboration que Doha accueille elle aussi avec enthousiasme : “Emma ajoute sa french touch à mes pâtisseries, et travailler à ses côtés me permet également de découvrir sa cuisine à elle”. Des gourmandises qui promettent un mariage des cultures et des saveurs exceptionnel.
Les origines de Refugee Food
L’idée du Refugee Food Festival germe dans l’esprit de Marine Mandrila et Louis Martin en 2015, à la suite de la traversée de 18 pays. Un voyage voué au partage et à la découverte des différentes coutumes culinaires et culturelles. “C’était un alibi pour provoquer des rencontres. On a été reçus avec énormément de simplicité et de générosité”, raconte Marine. Au même moment, des millions de syriens fuient leur pays ravagé par la guerre. Une situation qui émeut les deux voyageurs, eux aussi marqués par leurs parcours familiaux d’exil. “Le traitement accordé à ces migrants est assez déshumanisant et nous amène à oublier qu’il s’agit de personnes comme vous et moi. Il faut prendre conscience qu’on pourrait tous être réfugiés un jour”, soutient la co-fondatrice.
Après s’être engagés et mobilisés à leur échelle, Marine et Louis aspirent à quelque chose de plus grand. Le projet s’articule rapidement autour de la cuisine — “À travers la cuisine, on raconte plus de choses que juste des aliments !”. Parce que la cuisine parle à tout le monde, qu’elle est universelle et que les diasporas l’emmènent avec elles. Parce que cuisiner c’est aussi transmettre sa culture. “Le festival tente de montrer une autre réalité. Ces personnes n’ont pas choisi de quitter leur maison sur un bateau avec femme et enfants, on se doit donc de les accueillir avec dignité. Elles ont beaucoup de talents, de compétences et de choses à apporter à notre société. Voici notre genèse. Voilà pourquoi nous avons décidé de monter ce festival.”
Une association sur tous les fronts
Force est de constater que Refugee Food s’investit considérablement dans la cause qui leur est chère et ne se limite jamais qu’à une seule action. Après la création du festival à Paris en 2016, l’association Refugee ne s’arrête plus. En 2018, ils ouvrent un comptoir de restauration au Ground Control bâptisé La Résidence. À la façon d’une résidence d’artistes, des cuisiniers réfugiés viennent régulièrement prendre la place du chef pour tester leur carte avant d’ouvrir leur propre restaurant. Certains se sont lancés avec beaucoup de succès.
Un an plus tard, Refugee Food lance Sésame, une formation gratuite et adaptée — avec des cours de français — et soutenue par Pôle Emploi. Développée à Paris, la formation a été déployée au sein de plusieurs villes françaises, en partenariat avec des organismes de formation tels que Acto et Envergure, ou des collectifs de restaurateurs tel que Ecotable. “D’ici début 2023, on aura formé quasiment 280 personnes au métier de commis de cuisine. 75% d’entre elles ont trouvé un emploi après la fin de la formation. Si on compte les contrats d’interim on est à 90%. Ce qui est vraiment bien quand on parle de personnes éloignées de l’emploi. Accéder à un travail est clef. Dans la vie déjà mais aussi dans un pays d’accueil afin d’être valorisé, d’être autonome, de rencontrer des gens et de débloquer l’accès à un logement”, explique Marine Mandrila.
Face aux difficultés engendrées par le premier confinement, Refugee Food s’est également lancée dans l’aide alimentaire. “On s’est mis à cuisiner avec plein d’autres association, notamment Ernest, Yes We Camp, Les grands voisins ou Ecotable. On a pensé à ces gens qui allaient avoir faim, alors on ne pouvait pas s’arrêter de cuisiner, raconte Marine. On a monté tout un espèce de collectif en quelques semaines. On produisait quasiment 1000 repas par jour qui étaient distribués partout dans Paris. On s’est rendu compte qu’on pouvait servir des repas de qualité et bien dressés — notamment grâce à notre chef, qui a lui-même bénéficié de l’aide alimentaire lorsqu’il est arrivé en France — alors que c’est rarement le cas dans l’aide alimentaire. Tout le monde a le droit à une alimentation, juste, bonne, diversifiée et de qualité.“
Refugee Food ne s’est pas arrêtée depuis et collabore désormais avec la Chorba, les Restau du Coeur et la Ville de Paris pour distribuer “des repas qu’on ait nous-même envie de manger” aux demandeurs d’asile en France. “C’est un enjeu de santé publique, ce n’est pas normal que des gens ont encore faim et qu’ils n’ont pas accès à des produits et des repas de qualité”, assure la co-fondatrice.
Des principes que l’association tente également d’inculquer aux enfants en intervenant dans les classes de collège. “C’est un projet qui entre dans notre mission de sensibilisation. La question des frontières et de l’exil est au programme des 4e, ça dépend évidemment des établissements et des professeurs, mais globalement le sujet des migrations, de l’intégration, de l’insertion, de l’accueil, dépasse le cadre du programme scolaire. Il y a ce qui est dans le programme scolaire et dans les cours, mais il y a également ce que l’école peut apporter en termes d’éclairage sur le monde, notamment à l’heure actuelle avec l’année qui vient de s’écouler. Selon la banque mondiale, il y aura — pour des raisons uniquement climatiques — 250 millions de personnes réfugiées d’ici 2050. Donc ce n’est pas juste quelque chose qu’il faut traiter dans les programmes scolaires de 4e”, stipule toujours Marine.
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