Fini les ensembles baskets-jogging streetwear, adieu les looks Lolita des années 2000 et la sobriété du quiet luxury… Durant ces premiers jours de Paris Fashion Week, les créateur·ices ont joué sur les couleurs, les matières et les silhouettes avec une question sous-jacente : Qu’est-ce que le désir hors des structures patriarcales en 2024 ?
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La nudité à l’ère des réseaux sociaux
Une longue robe en mousseline noire transparente ornée de plumes : à l’aube de 1968, Yves Saint Laurent donne naissance au nude look. Presque six décennies plus tard, Anthony Vaccarello le réinterprète à partir d’une pièce vestimentaire féminine populaire et extrêmement fragile : le collant. Celui-ci compose des blouses lavallière ou des jupes crayon droites dans des teintes allant du caramel au vert en passant par le framboise. Le vêtement est à la fois irréel et éphémère, presque virtuel.
C’est justement la dimension virtuelle du monde contemporain que ce vêtement questionne, ainsi que le sens de la mode dans une ère où les images des défilés se diffusent à flux ininterrompu sur les réseaux sociaux. Avec près de 40 silhouettes dévoilant la poitrine, Anthony Vaccarello questionne Instagram, où règne une modération confondant nudité et pornographie en éludant tout corps érotique et sensuel. Ce nude look version 2024 ouvre une discussion sur la place du corps désirant dans les récits visuels de la mode, auxquels répondent les robes translucides et body-positive d’Ester Manas, les silhouettes longues et sculpturales d’Acne Studios, ou encore la relecture des années Marc Bohan chez Dior par Maria Grazia Chiuri. Comment montrer le corps en 2024 alors que les schémas patriarcaux demeurent ?
La question du plaisir
Ce questionnement se prolonge chez Courrèges, où le sol immaculé se gonflait et se dégonflait au gré des respirations. Autour de cette installation imaginée par l’artiste Rémy Briere, quelques robes transparentes se succèdent, mais ce n’est pas là l’élément majeur. La poche, nichée au niveau de l’entrejambe des mannequins, retient l’attention. Dans ce vestiaire entre noir et blanc, composé de tailleurs jupes portés sur des pantalons évasés ou de larges perfectos au col ultra-haut, la main est toujours posée sur le bas-ventre. Une manière de parler de la masturbation féminine ?
Quelques semaines avant le défilé, Di Felice postait sur Instagram l’image d’un pantalon masculin doté d’une poche similaire, et expliquait aux Inrocks être inspiré par le plasticien Mike Kelley, dont les performances ont notamment questionné l’expression de la masculinité hégémonique. Pour parler du plaisir féminin, encore faut-il déconstruire le récit des désirs normalisés depuis des décennies par le patriarcat.
Exploration de nouvelles perspectives
Pour réinventer la notion de désir, il est essentiel de donner voix au milieu des 71 défilés inscrits au calendrier de cette semaine parisienne, à une nouvelle génération de créateur·ices. Cecilie Bahnsen explore les nuances de la féminité à travers des robes transparentes et délicates, associées à des pièces en cuir. Dans un tout autre registre, le jeune designer queer de 29 ans, Victor Weinsanto, propose une déconstruction des stéréotypes féminins avec sa collection intitulée “Lady”, un hommage à l’esthétique burlesque et à la pop de Cyndi Lauper. Des mini-jupes rose bonbon aux robes cages géantes en forme de kouglof, la collection oscille entre légèreté et gravité, incarnant la complexité de l’expérience féminine contemporaine. De son côté, Vincent Garnier Pressiat propose une réflexion originale sur les rythmes de la mode à travers une scénographie mettant en scène des pneus, symbole de la vitesse et de l’éphémère. Si l’industrie impose des contraintes pour les maisons détenues par les grands groupes, les jeunes créateur·ices sont soumis·es aux mêmes exigences. En dehors de cette scénographie statement, le vestiaire exhale une sensualité assumée et une androgynie épanouie à travers des pièces audacieuses telles que des fausses fourrures, et des robes fourreau portées avec des talons hauts.
Paris révèle une tension saisissante entre quête de plaisir, exploration du désir et mise en lumière de la nudité. Dans un monde où les réseaux sociaux dictent souvent les normes et où les schémas patriarcaux demeurent, les créateur·ices s’aventurent courageusement à défier les conventions et à questionner les récits visuels établis depuis des décennies.
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