Du 16 au 21 janvier, grandes maisons de mode et jeunes créateur·rices présentent à Paris leur vision du vestiaire homme automne-hiver 2024-2025. Récit personnel, souvenir ou réécriture de récits classiques sont au rendez-vous et permettent d’évoquer les crises sociales contemporaines. C’est le cool de la semaine.
Contempler l’histoire d’amour de Jeanne Friot
All the Things She Said, le tube du duo t.A.T.u., hymne pop lesbien des années 2000, résonnait dans les sous-sols du Rex Club ce mercredi à l’occasion du troisième défilé de la créatrice queer au vestiaire écoresponsable Jeanne Friot. Après avoir questionné l’écriture queerphobe des contes berçant notre enfance avec son show Sirens, en juin dernier, la créatrice s’attaque à un autre sujet dans le récit contemporain : les histoires d’amour, en l’occurrence lesbiennes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Intitulée Coming out, la collection raconte la progressive fusion de sa garde-robe personnelle (que l’on devine dans les grands manteaux en fausse fourrure) avec celle de sa femme Delphine Rafferty, les taches de peinture colorant les combinaisons de travail se transformant en ornement. Un vestiaire entre tailoring et workwear, vêtements diurnes et nocturnes ponctués des pièces clés pour Friot : les ceintures.
Ici, elles forment des minijupes, mais s’impriment également en trompe-l’œil sur des tops, et se transforment en une pièce de soirée unique sur Daphné Bürki, réalisée par l’artisan spécialiste du cuir Robert Mercier. Une collection vibrante, ayant suscité un sursaut dans la salle à l’heure où il semble compliqué de trouver de la lumière dans l’actualité.
Relire Bel-Ami à l’heure de l’inclusivité avec Louis Gabriel Nouchi
Épaules XXL aux angles obtus, taille serrée et large pantalon surmonté d’un manteau flottant : la silhouette composée par le vainqueur de l’ANDAM 2023 est désormais emblématique. Cette saison, elle s’adapte à la morphologie féminine, avec des icônes comme la top découverte par Jean-Paul Gaultier, Coco Rocha. Mais Louis Gabriel Nouchi ne s’arrête pas ici et surprend son public avec des innovations textiles : flanelle et drap de laine fluide, vinyle, mais aussi fourrure – inédit pour le label.
Après avoir revisité la figure du métrosexuel toxique Patrick Bateman l’hiver dernier, Nouchi repense une autre masculinité via un casting inclusif : celle de l’arriviste Georges Duroy, héros de Bel-Ami de Maupassant, et grimpant l’élite parisienne du XIXe siècle grâce aux femmes l’entourant. Le créateur explore la face sombre de la haute société parisienne de l’époque dans des costumes dramatiques, longs manteaux, tandis que la cupidité se devine dans des silhouettes total or. Une réécriture pour une garde-robe entre jour et nuit, et hautement désirable.
Alerter sur l’environnement à coups de détournement chez Botter
Entre workwear et sportswear, vêtements adolescents et adultes, stricts et colorés : le duo néerlandais Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter raconte l’hybridité et ne cesse d’expérimenter de nouvelles combinaisons techniques. Veste construite à partir d’un patron de pantalon, ou encore parka surmonté d’une robe créant des formes flottantes s’additionnent au vestiaire upcyclé Botter.
Intitulée Dark Waters, la collection automne-hiver 2024-2025 actualise l’esthétique vintage, expose le délavage de jogging, se joue du jacquard fleuri et du pied-de-poule. Le duo explique s’inspirer du mouvement de l’Arte povera pour leur mode engagée. Sans oublier l’aspect warholien, quand les créateur·rices utilisent des logos de grandes marques et les détournent pour faire passer leurs messages environnementaux, à l’instar de celui de la compagnie pétrolière Shell, dépourvu du “S” pour qu’il ne reste plus que “hell” (“enfer”).
Dialoguer avec l’art chez Issey Miyake
En février 1982, Issey Miyake était le premier créateur dont les vêtements faisaient la couverture du magazine d’art Artforum. Plus de quatre décennies plus tard, fidèle à la vision d’une mode à la frontière des disciplines et valorisant l’innovation, la ligne Homme Plissé Issey Miyake a invité le designer breton Ronan Bouroullec afin d’instaurer un dialogue entre les dessins de ce dernier et la collection Pleats Please.
Celui qui avait déjà collaboré avec Miyake et imaginé en 2000 la boutique A-Poc (pour A Peace of Cloth, “un morceau de vêtement”) propose ici de l’art portable à travers un vestiaire de basiques lumineux : blanc cassé, vert d’eau, violet aubergine s’articulent dessus tels des tableaux, tandis que des mannequins portent des coussins peints. Des jeux de texture qui rendent hommage aux lignes dessinées par le designer japonais, disparu en 2022, et poursuivent le dialogue art-innovation qu’il avait initié cinq décennies plus tôt.
Inventer des ailleurs critiques chez Rick Owens
Douillette et déroutante, familière et inquiétante : alors que la neige fond dehors, Rick Owens dévoile une collection poétique chez lui, place du Palais-Bourbon, telles les maisons de haute couture jusque dans les années 1970, avant que le défilé ne se généralise en spectacle grand public. Un choix expliqué comme un geste de respect “dans une époque barbare”.
Pas de boule de feu, de nuée de fumée, ou de front row avec célébrités, mais des silhouettes, purement et simplement, entre science-fiction et couture, noirceur et pointe de lumière rappelant, comme le précise le communiqué de presse, qu’il faut toujours espérer. Après avoir allongé les jambes la saison dernière à coups de pantalons ultra taille haute et bottes à plateforme, le créateur américain pense de nouveau le corps, qu’il décrit comme grotesque et inhumain.
Les jambes s’arrondissent, les mollets sont surgonflés avec des bottes à la forme conique rappelant des plugs, réalisées dans le cadre d’une collaboration avec Straytukay, “designer londonien qui expérimente les volumes architecturaux et a le don pour la construction technique”. Les manteaux créent aussi des excroissances : tantôt donut duveteux entre jaune et rosé, tantôt pièces noires à épaules XXL angulaires ou à épaules en accent circonflexe formant une paroi autour de la tête.
Entre l’armure et le cocon, Owens raconte des corps en devenir, rappelant en quelque sorte la démarche de déconstruction critique du corps par le biais de volumes surhumains proposés il y a trois décennies par Rei Kawakubo avec Comme des Garçons. Elle présentera pour sa part sa vision en fin de semaine. À suivre.
{"type":"Banniere-Basse"}