Agendas culturels en berne, autorisations de sorties limitées : pendant plus d’un an, la création de mode a été contrainte à puiser dans les limbes du monde virtuel et les souvenirs personnels exaltés pour penser le masculin du monde d’après.
Présentée entre format digital, défilés et performances, cette saison de collections masculines printemps-été 2022, présentées du 22 au 27 juin, fait honneur à l’expérimentation. Total look néon façon nu-rave, réinvention du tailoring, vêtement de nuit porté le jour et bijoux enfantins offrent une vision de la masculinité à rebours des vestiaires stéréotypés. En toile de fond, le questionnement des rôles genrés ayant émané de la crise sanitaire. Alors, qui est ce monsieur marchant, le pas fier, vers 2022 ?
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Il est en cure de verdure
Les grenouilles coassent chez Y/Project, les champs de blé germent chez White Mountaineering et les bords de mer et cimes des montagnes sont au centre des shows Études, Prada, Alyx ou Rick Owens. Sans oublier Henrik Vibskov qui intitule sa collection “The Sun Will Shine on the Assembly Line”.
Bluemarble, Paul Smith ou Hed Mayner prolongent la thérapie et offrent des vestiaires composés de palettes bleu lagon, beige et ocre. Les chemisettes s’impriment de tournesols à la Van Gogh chez Paul Smith tandis que la marque Mansour Martin s’associe à l’artiste numérique Inès Alphapour afin d’imaginer des imprimés évoquant l’univers aquatique. La nature reprend-elle ses droits sur la mode ?
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Il marque un retour à la sensibilité camp
Dans Notes on “Camp”, l’écrivaine et militante américaine Susan Sontag décrivait cette esthétique comme “l’amour de l’anormal, de l’artifice et de l’exagération”. Pour cette saison, la mode nous plonge dans un large supermarché de tenues théâtrales, d’hier et d’aujourd’hui.
Virgil Abloh habille ses mannequins de vastes jupes crinolines chez Vuitton rappelant la première influenceuse mode Marie-Antoinette ; Arthur Avellano propose des manteaux-robes noirs de latex, portés avec des lunettes rectangulaires sombres pour un total look prince de ténèbres nocturne.
Si l’esthétique camp trouve sa force dans la superficialité assumée, Arturo Obegero s’inspire du Studio 54. Le temps de la présentation dansée de sa collection Euphoria à la Fashion Week, les boules à facettes reflètent les plastrons, les ensembles gantés et les robes pourpres au dos nus. “L’inspiration ? Un danseur argentin découvrant New York et dansant jusqu’au petit matin avec Pina Bausch. On a besoin de liberté, de légèreté, de rêver”, explique alors ce dernier, rappelant que plus qu’une esthétique, le camp est un prisme d’acceptation et d’intégration des plus politiques.
Il porte un tailoring post-Zoom
Pendant longtemps, le tailoring n’était pas un choix, mais l’unique option du vestiaire mode masculin symbolisant la réussite capitaliste et masculiniste. Vestiaire qui ne manque d’évoluer dans le contexte des réunions Zoom.
En 2021, le classique costume ajouré s’hybride de lignes sportives et matières plus souples et de formes kimono chez Taak. Le hors-champs se libère : short à pince imprimé chez Prada, mini short chez Fendi et bermuda en soie chez Louis Gabriel Nouchi. Il est guimauve augmenté de broches perlées chez Jil Sander ou se teint en néon chez Louis Vuitton. Chez Boramy Viguier, l’emblématique cravate est déconstruite et portée tel un foulard. Un regard post-digital sur le rapport entre genre et labeur.
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Il danse en free party
Si Gérald Darmanin a passé l’été à combattre les “rave parties”, leur esthétique revient comme un boomerang sur les podiums de Phipps, Études, Louis Vuitton ou Loewe. Du Steampunk façon Burning Man aux tons organiques et industrielles chez Burberry, aux motifs psychédéliques chez Bluemarble, la free party incarne un rejet du contrôle social post-attestation de sortie.
Pour devenir un traveller du son, Isabel Marant dessine un vestiaire composé de larges pulls en tricot, anoraks argentés portés avec des bobs tandis qu’Études articule t-shirt à flammes et pantalons à empiècements upcyclés. Quant à l’américain Spencer Phipps, il voit la teuf entre jungle, stade de gladiateur, galaxie et personnages bigarrés en costumes de catch. Le créateur explique qu’il s’agit d’un voyage métaphorique dans la masculinité américaine.
Il redécouvre les années 2000
Chez Diesel, un total look jean strass surmonté d’une large cape ravive le souvenir de Britney Spears et Justin Timberlake aux MTV Music Awards en 2001. Le collectif berlinois GmBH est plutôt jean déchiré, collier effet diam’s et fourreau moumoute Dragibus. On découvre des jeans bootcuts et des sabots fluos chez Sankuanz, des joggings molletonnés chez Casablanca, ou encore un double string ficelle chez Andrea Crews.
L’ode atteint son paroxysme chez Dolce et Gabanna et ses t-shirt slogan “2000 Fashion Menswear”, tandis que le directeur artistique de Lanvin Bruno Sialelli présente sa collection dans une version clip vidéo au son de Pure Shores du girls band anglo-canadien All Saints. Et une relecture queer de cette époque pointe son nez dans l’imagerie du cowboy lourde de sens chez Louis Vuitton ou Role Paris. Un antidote à la crise ?
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Il joue les punks 3.0
Le sociologue britannique Dick Hebdige définissait le punk comme “un brouhaha signalant le potentiel anarchique d’une société”. Tel un surréaliste, le punk détourne les codes hégémoniques de son époque pour les questionner. Après une année confiné, le punk apparaît dans multiples déclinaisons.
Chez Doublet, les mannequins portent des crêtes vertes, des visages peinturlurés de rouge et des perfectos destroy, dévorant des pommes qu’ils jettent dans le public, façon punk écolo.
Face à lui, apparaît le cyberpunk, qu’on retrouve dans les capes techniques d’Avellano, les looks noirs vinyle de Juun J ou encore les combinaisons de veste en cuir et tops en maille déchirés de Rick Owens. Ce qui n’est pas sans rappeler que le mouvement politique a toute sa place dans un questionnement post-internet.
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