Le tatoueur le plus radical de Paris revient sur son rapport à la peau, à l’intime et à la société contemporaine.
Tout·e parisien·ne encré·e qui se respecte a déjà croisé Kavehrne, figure aussi mythique que houleuse d’Instagram, des nuits queer et, surtout, du tatouage.
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D’origine iranienne et élevé en banlieue parisienne, il découvre cet art de la peau dès l’adolescence. Il y voit comme un potentiel d’alignement entre apparence et substance, sorte de stigmate post-moderne et exutoire.
Son esthétique post-moderne et post-internet désacralise le champ esthétique du tatouage pour en faire une langue en mutation, incorporant culture persane, symboles pop, slogans viraux et cris de ralliement contre la douleur psychologique. Un marqueur du temps et de soi de l’instant présent. Rencontre.
Comment êtes-vous tombé dans le tatouage ? Quelles étaient vos premières inspirations esthétiques ?
Kavehrne – En 2008, je fabriquais avec ma brosse à dents électrique, un morceau de critérium, du fil et une aiguille de couture ce que je croyais pouvoir utiliser comme une machine à tatouer. J’avais 13 ans et ce besoin inévitable de me marquer la peau, mais de manière permanente. Rien ne m’énervait plus que les coupures et brûlures que je me faisais et qui disparaissaient à chaque fois, sans laisser la moindre cicatrice. Je ne supportais pas cette incohérence entre mon image extérieure et mon intérieur, je devais les mettre en accord, c’est comme ça que j’ai essayé de me tatouer la première fois, avec l’encre d’un stylo bic bleu – encore une fois ces “tatouages” ont disparu.
C’est plus tard, en découvrant les tatouages de Maxime Plescia-Buchi, que j’ai commencé à m’intéresser au tatouage sérieusement. Son travail a grandement influencé, orienté et structuré l’idée dans ma tête. À la fac, je redessinais ses tatouages sur mes polycopiés en cours au lieu d’écouter.
Par la force des choses, j’ai fini par acheter pour la première fois de l’encre de tatouage, de la vraie, et des aiguilles de tatouage cheap en provenance de Chine, et j’ai joint l’utile à l’agréable. Personne n’était tatoué dans mon entourage, c’était même tout le contraire, le tatouage est associé aux voyous, gangsters et toxicomanes chez les Iranien·nes. À cette époque, je m’étais déjà fait tatoué plusieurs fois, toujours sur les cuisses pour pouvoir les cacher à mes parents, mais c’était vital pour moi de me marquer moi-même. Sans le savoir, je venais de mettre fin au self-harm (ou l’automutilation, ndlr) grâce à ces tatouages de “taulard”. Je décidais le motif au même moment que je commençais à piquer, mais il ne m’importait absolument pas. C’est seulement à partir de 2019 que le tatouage est devenu “sérieux” pour moi, le truc le plus important de ma vie.
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Comment décririez-vous votre patte et votre univers en général ? Les tatouages qui vous représentent le mieux ?
Je ne suis pas sûr mais je crois que ma patte c’est de sortir ce qu’il y a dans mon cerveau. Ce qui a été dessiné et tatoué n’est plus seulement entre moi et moi-même. C’est thérapeutique. Un peu comme l’écriture pour Sadegh Hedayat, qui écrivait dans La Chouette aveugle : “Je n’écris que pour mon ombre projetée par la lampe sur le mur ; il faut que je me fasse comprendre d’elle.”
Mon univers est une intersection entre la culture iranienne, la littérature persane, le queer et la souffrance psychologique. Je n’ai donc pas de tatouage qui me représente le mieux, je dirais que c’est l’ensemble de mes tatouages qui me représente le mieux. Ils fonctionnent ensemble, ils ne sont pas indépendants les uns des autres.
Mais surtout, c’est mon histoire que je raconte. Ce qui m’encourage à aller plus loin, c’est de continuer à essayer de rendre visible une chose invisible : la souffrance psychologique. Sans jamais la rendre glamour. Personne ne mérite d’avoir honte d’avoir mal.
Qu’est-ce que votre identité queer change à la façon dont vous approchez le tatouage ?
J’essaie de créer un environnement safe au maximum, où les gens qui s’écartent de la norme arbitraire qu’impose la société patriarcale se sentent à leur place. C’est cool parfois de sentir qu’on a une place.
Et que retenez-vous de votre expérience de tatouer la communauté queer parisienne?
J’ai l’impression qu’ils·elles portent autant d’importance à leurs tatouages autant qu’ils·elles s’en foutent. C’est ça qui est génial avec les queers : tout a toujours l’air très sérieux et très superficiel en même temps, c’est l’équilibre parfait. En plus, on peut écouter l’album Dance Remixes de Mylène Farmer sans se faire traiter de “pédé”.
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