Ancienne agente d’artisan·es et spécialiste de l’art japonais de la réparation,la jeune femme est experte en revalorisation des rebuts, élevée au rang de savoir-faire autant que de philosophie.
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A travers sa pratique du Kintsugi (jointure à l’or), technique ancestrale japonaise de restauration née au XVe siècle où les fêlures sont parées d’or, Audrey Harris s’interroge sur notre rapport à ce que l’on nomme déchet et sur le potentiel de transformation et de sublimation de ce statut indésirable.
A la tête des partenariats de La Réserve des Arts, association dédiée au réemploi de matériaux jetés pour les professionnel·les du secteur de la culture, de la création et de l’artisanat, elle collabore de près avec les plus grandes maisons de mode autour de la gestion – et la reconsidération – de leurs résidus.
Vous avez donné un TEDx Talk sur le Kintsugi. Qu’est-ce qui vous inspire dans cette pratique ?
Audrey Harris — Oui, j’ai pu partager mon apprentissage de cette technique japonaise de réparation lors d’un TEDx Talks à New Delhi. Elle consiste en une série d’étapes : les pièces sont poncées et réunies pour reconstituer l’objet, les brèches sont ensuite comblées, puis les jointures sont parées de poudre d’or. Il faut constamment considérer l’objet, rentrer dans sa matière pour comprendre ce qui fait son unité.
C’est un processus méditatif, introspectif, qui rappelle que l’objet peut vivre plus longtemps que nous. L’accident fait partie de sa vie. Le Kintsugi répond à cela en affirmant la force du libre arbitre, en donnant la possibilité de choisir de le réparer ou de le jeter. L’or vient souligner la puissance de ce choix, tout en dédramatisant l’accident.
Vous avez rejoint La Réserve des Arts en 2019. Comment est née cette association ?
La Réserve des Arts est née il y a douze ans. Ecœurées de voir partir à la benne les scénographies d’expositions, nos fondatrices ont d’abord pu occuper une cave du Palais de Tokyo pour entreposer les éléments et les proposer à des créatifs. L’association a bien grandi depuis, elle a développé un véritable savoir-faire pour valoriser les déchets du secteur culturel, elle a construit une communauté d’adhérents eux-mêmes professionnels, qui accèdent ainsi à des matériaux à prix solidaires.
Par l’action de valorisation, nous travaillons à rendre la matière à nouveau employable, désirable et intelligible, pour en faire de la matière à création. Non seulement nos 8 000 adhérents se moquent de savoir si les matériaux ont eu une vie avant, mais plus encore cela leur permet d’avoir un engagement écologique concret dans leur travail.
Quelle philosophie mettez-vous en place avec vos partenaires ?
Nous collaborons avec beaucoup de structures, productions audiovisuelles, musées, lieux de spectacle vivant mais aussi maisons de mode et ateliers. Avec chacun, l’idée est d’apporter une alternative à la destruction de leurs rebuts mais aussi d’accompagner l’appropriation par nos partenaires de la logique d’économie circulaire. Les maisons de mode notamment ont des cultures internes très spécifiques dans leur manière de produire, de travailler, dans leur relation aux métiers d’art.
La gestion de leurs déchets doit donc être pensée sur mesure – c’est un artisanat en soi. Nous apprenons à les connaître à travers leurs rebuts et nous étudions la manière de les réduire, d’optimiser leur réemployabilité. Nous travaillons à apporter des solutions par l’éco-conception. C’est une manière de voir autrement la façon de créer en envisageant la fin de vie dès la conception et qui conduit à repenser le processus créatif dans son ensemble.
Nous appliquons évidemment cette logique dans nos projets internes. Pour construire nos ateliers, nous avons fait avec ce que nous avions sous la main. Ce sont donc les gisements issus de trois défilés de mode qui nous ont permis de monter les 300 mètres carrés d’espaces destinés à nos adhérents et aux formations à l’éco-conception que nous dispensons.
Comment donner une valeur et un sens nouveaux à un objet ?
Dans la valorisation de rebuts comme dans le Kintsugi, c’est l’anoblissement par la main qui opère le changement de statut. C’est une approche qui ouvre la perspective d’un changement profond de paradigme dans notre vie matérielle. L’idée n’est pas de cesser de créer de la valeur, bien au contraire.
Il s’agit d’être nous-mêmes les opérateurs de la création de cette valeur plutôt que d’aller chercher de nouvelles ressources. L’économie circulaire crée une dynamique qui permet à la matière, à l’objet de redevenir ressource pour qui saura y projeter son intention et ainsi lui offrir une nouvelle vie. Un objet ou une matière qui porte les traces d’une première vie est forcement unique, sa valorisation repose sur le savoir-faire autant que sur l’imagination.
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