24 heures avant l’ouverture de sa toute première exposition parisienne, la photographe de 71 ans alterne analyse du temps présent et flash-back des nuits passées entre le Studio 54, le CBGB ou Les Mouches. Ses clichés en noir et blanc, diurnes et nocturnes, entre salon familial et clubs endiablés sont visibles jusqu’au 28 février 2023 à l’espace d’exposition de Carole Lambert “Carole Lambert Présente”.
Le rendez-vous était fixé au 81 rue du Temple dans le nouvel espace d’exposition de Carole Lambert “Carole Lambert Présente” logé au fond d’une cour pavée dans le quartier parisien du Marais. Au milieu de la pièce tapissée, de larges clichés représentant des jeunes à moitié nu·es, ou en combinaison de cuir, Meryl Meisler se balade souriante : c’est sa première exposition parisienne, et la deuxième en France.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Quand je suis venue à Paris dans les années 1980, on m’avait emmené dans un club… les Bains Douches, je crois. C’était fou : une personne m’avait accueillie, complètement nue avant de me proposer de danser”, se souvient-elle.
Un compagnon, le Graflex Norita 66
Téléphone à la main, aurait-elle succombé à la fonction photo de son cellulaire ? “Un peu, car c’est pratique, mais ça n’a rien à voir avec ça”, s’exclame-t-elle en attrapant un large cabas noir. À l’intérieur se dissimule “son meilleur ami depuis près de cinq décennies”, un Graflex Norita 66 – un appareil photo noir et épais des années 1970. “En réalité, j’en ai trois car plus personne ne sait les réparer”.
Accessoirisée de son fidèle compagnon, elle arpente les nuits new-yorkaises tout au long des années 1970 et 1980. Explosion du disco, montée du mouvement punk, soirée lesbienne ou pour les travailleuses du sexe : Meryl Meisler se laisse guider par la musique, les looks grandioses, la joie et l’hédonisme transcendant chacun·es. “Les images viennent à moi”, dit celle qui sortait d’abord pour danser.
En 1980, elle articule sa carrière d’oiseau de nuit à celle de professeur“car il faut payer les factures”. Elle enseigne dans le quartier de Bushwick marqué par le crime. Malgré elle, ses photographies captent la gentrification de l’espace désormais inondé de bars à café latte et de librairies.
“Aujourd’hui, les gens viennent me voir. Certain·es pour des infos sur Bushwick, pour mettre en image un récit du quartier. D’autres reconnaissent des ami·es dans les clichés de soirées, comme un performeur transgenre de couleur photographié en 1970. J’étais heureuse de savoir qu’il était toujours vivant. Ça soulage ce genre d’histoires et ça m’oblige à chercher dans les cartons”, plaisante-t-elle.
L’esprit libre
Noctambule et professeur, Meryl Meisler se plaît dans les entre-deux et les interstices d’où elle observe les mondes. Cette ouverture d’esprit et sans doute liée à son enfance passée à Massapequa, un hameau situé à Long Island dans les environs de New York. “Mes parents avaient ouvert un club nommé le ‘Mystery Club’ et donnaient rendez-vous à seize autres couples. Ils n’étaient pas échangistes, mais ils allaient dans les bains gays masculins et un tas d’autres lieux toujours très habillés. Imaginez-vous à table dans les années soixante à dix ans, découvrir tout cela. Avec eux, j’ai compris qu’on pouvait vivre de folles aventures n’importe où”, se souvient-elle.
En 1975, elle s’installe à New York, pour expérimenter à son tour les joies de la vie nocturne, ou tout le monde devient ce qu’il veut. Sur les images des instants passés capturés, on reconnaît Grace Jones, ou les Village People. Elle nous montre une amie de Dalí. “Je l’ai prise en photo, car elle posait sur cette table : je ne savais pas qui c’était.” Célébrité ou anonyme peu importe. Ce qui étonne encore la photographe, c’est la confiance de certaines personnes ostracisées pour qui la nuit était un safe place. “Ils avaient compris que je n’étais pas une sorte de paparazzi et je suis très touchée d’avoir été accueillie dans tant d’espaces.” Transformiste, travailleuse du sexe : la photographe inspire confiance et assiste aux transformations des mondes libertaires, alors que l’épidémie du sida grimpe dans les années 1980. “La ville a changé et je n’étais plus la même personne non plus. Je travaillais à plein-temps.”
L’art de transmettre
Jamais elle ne semble s’être considérée comme une photographe professionnelle. Inspirée par le style documentaire de Diane Arbus, elle prend des cours auprès de Lisette Model à son arrivée à New York. “Il y avait tant de photographes… et j’apprends encore. Pendant la pandémie du Covid, j’ai appris à développer dans une chambre noire.”
C’est à 60 ans qu’elle commence à ranger, examiner, classer et dévoiler son travail. “C’était par la force des choses : des gens faisaient une exposition sur Bushwick.” Puis deux ouvrages s’enchaînent A Tale of Two Cities: Disco Era Bushwick (2014) et Purgatory & Paradise: Sassy 70s Suburbia & the City (2015) . “En 2013, je suis allée dans un club burlesque/drag-queen nommé Bizarre situé à Brooklyn. J’ai eu un flash. Les mondes disparates de Bushwick et du Disco s’entrechoquèrent. La gentrification avait réuni mes deux corps de travail.”
Aujourd’hui, ces clichés racontent les hybridations entre underground et populaire, nuit et jour, conventions et transgression. Loin d’être nostalgique, elle démontre également que la résilience se transmet et s’exprime à travers chaque époque.
“Carole Lambert présente Meryl Meisler”, jusqu’au 28 février, du lundi au vendredi de 14 h à 18 h à Paris.
{"type":"Banniere-Basse"}