En 2018, alors étudiante en histoire et sociologie de l’art, Lexie crée sa page Instagram, Aggressively_trans. Aujourd’hui, à 25 ans, elle publie Une histoire de genres, où elle analyse de manière approfondie et pédagogique les transidentités, et leurs dynamiques dans un système patriarcal et cisgenre.
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Comment a débuté votre page Aggressively_trans, qui compte aujourd’hui plus de 55 000 abonné·es ?
Lexie — J’ai lancé cette page en 2018, non pas en tant que militante – que je n’étais pas encore –, mais en tant que meuf trans. J’avais fini de faire les coming out qui m’importaient et, en affirmant mon identité, je me retrouvais face à des menaces de viol, de meurtre et des pensées suicidaires.
J’ai donc commencé par partager les messages que je recevais, puis d’autres personnes trans m’ont également envoyé les menaces reçues, ne sachant pas où et comment en parler.
J’ai réalisé que ce compte pouvait être un espace de parole et je suis devenue militante à travers cette page. Instagram est génial car cela permet de garder le contrôle complet de la narration, de dépasser les contraintes de son cadre de sociabilisation ; hormis ses possibilités graphiques, la plateforme permet surtout un contact entre militant·es, c’est un outil qui a participé à une forme d’émancipation.
Que vous a apporté votre livre ?
Le but de Marabout [son éditeur] était de publier un ouvrage qui puisse être lu par des personnes trans, mais aussi la famille qui se pose des questions et les gens curieux – et qui, certes aussi, reflète une curiosité actuelle pour ces questions.
En acceptant cette offre, mon but était de créer de l’empathie, de répondre à la curiosité pour montrer qu’elle est parfois déplacée et de secouer les idées reçues et les dynamiques inégales des personnes trans face aux personnes cisgenres.
Ce livre d’un registre académique est une forme de sacralisation, une reconnaissance d’une dignité universitaire. C’est une façon de reconnaître l’expertise que l’on peut avoir quand on milite et qu’on fait de la recherche en tant que personne trans. Car beaucoup de journalistes en ont profité pour faire un sujet sur une personne trans et sa réalité, et ôter au livre sa valeur d’essai.
Sur les plateaux télé, on trouve les “vrais” experts cisgenres et, à côté, la personne trans réduite à sa subjectivité et à son corps. Cela me fait penser à la chercheuse (afro-descendante) Maboula Soumahoro, spécialiste en histoire des civilisations de l’Amérique, mais essentialisée et réduite à un statut militant lorsqu’on lui demande d’intervenir sur Black Lives Matter.
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Quel impact peuvent avoir votre voix et votre visibilité ?
J’espère que je contribuerai à créer un espace pour les personnes trans – attention, je ne suis pas pour autant une représentante ou une porte-parole de la communauté trans, une image à éviter absolument, surtout en tant que femme trans blanche qui est beaucoup moins en galère économiquement que la plupart des membres de cette communauté.
Néanmoins, je contribue à créer une image lisible d’une minorité queer trop souvent caricaturée comme une foule labyrinthique aux cheveux bleus. J’espère faciliter l’accès à certains propos. Cela passe par un travail sur l’image comprenant ce que je porte et comment je m’exprime, car la réception ne sera pas la même.
Ça m’énerve, mais pour être entendue, je suis contrainte de ne pas avoir une image menaçante, car notre existence est déjà perçue comme telle. J’ai tenté les apparitions en robe fluo à imprimé léopard, et mon passage a été coupé. Quand j’arrive en jupe tartan et gilet de grand-mère, l’écoute est tout autre.
Je dois correspondre à certaines attentes, réfléchir à quelle offre proposer pour être plus lisible, et utiliser cette visibilité au mieux pour relayer la parole. Ça rappelle aussi que le regard cisgenre est curieux, mais cette curiosité n’accepte pas toutes les prises de parole, cherche aussi un certain confort qui nous contraint à des corps lissés… Ça impose un contrôle de son image pour ne pas être insultée, encore plus méprisée et invalidée…
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Y a-t-il une manifestation de transphobie spécifique à la France ?
La spécificité française est une aversion absolue pour les communautés. Cette idée d’universalisme et d’homogénéité détruit complètement la communauté trans – on cherche même à faire des lois pour casser ces vies [le projet de loi contre le “séparatisme”].
Et pourtant, ce sont les dynamiques intra-communautaires qui assurent la survie de personnes trans en France – comme le travail du Fast (Fonds d’aide sociale trans par Acceptess-T – et non l’Etat.
La nature transphobe de nombreux crimes n’est pas retenue, et la justice fait preuve d’inversion de culpabilité vis-à-vis de la victime. On réfléchit aux personnes transgenres comme des corps décontextualisés. Cette volonté d’effacer la communauté explique donc la spécificité française de ne pas avoir de législation ou d’espaces spécifiques pour de nombreuses minorités.
Une histoire de genres – Guide pour comprendre et défendre les transidentités (Marabout), 224 p., 19,90 €
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