Dans un essai novateur, Sandrine Goeyvaerts pointe les discriminations liées au vin et esquisse des pistes pour en sortir
Toutes celles et ceux qui ont commandé une bouteille de vin au restaurant le savent : c’est la plupart du temps aux hommes qu’il est proposé de goûter, et très souvent avec eux qu’a lieu la discussion sur le choix. Cette tendance profonde peut paraître anodine, mais elle en dit long sur les stéréotypes de genre ancrés dans notre rapport au glouglou, icône du “mode de vie” français s’il en est. Ce n’est que l’un des nombreux exemples pris par Sandrine Goeyvaerts, caviste, journaliste, féministe et grande gueule, belge de surcroît, dans son Manifeste pour un vin inclusif, que publie l’audacieuse maison d’édition Nouriturfu – qui compte notamment dans son catalogue Faiminisme de Nora Bouazzouni.
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Dans une suite de chapitres courts et documentés à la fois par ses connaissances et par de nombreux témoignages, l’autrice dissèque une à une les pratiques sexistes, classistes et racistes imprégnées jusque dans les mots du vin, tout en revenant sur l’histoire du breuvage et la manière dont il a été en quelque sorte confisqué telle une chasse gardée par “l’homme blanc, bourgeois, valide et hétérosexuel”. Le texte s’inscrit dans une veine militante – pour être parfaitement claire, Goeyvaerts cite en ouverture l’incipit du Scum Manifesto de Valerie Solanas – et pointe l’exclusion de fait pratiquée contre ceux (et surtout celles) ne maîtrisant pas les codes d’un milieu qui, même associé à la joie et à l’ivresse, manque singulièrement de diversité. Pourquoi les vins sucrés ou légers sont-ils plus spontanément associés aux femmes, contrairement aux gros rouges bourrés de tannins ? Qu’est-ce qui a décidé Jay-Z à créer sa propre marque de Champagne ? Existe-t-il une universalité du goût et par extension, du “bon vin” ?
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À ces questions et à beaucoup d’autres, ce détonant Manifeste pour un vin inclusif répond, en notant également la persistance d’une culture sexiste – y compris dans le vin nature – qui va des pratiques de harcèlement à l’utilisation purement gratuite de femmes nues sur les étiquettes. “Et que dire de ce vigneron, écrit Goeyvaerts, qui trouve malin de commercialiser un vin avec la mention GHB (psychotrope souvent qualifié de “drogue du viol”) sur l’étiquette, assortie d’un commentaire enfonçant le clou : ‘Dites-nous si ça marche’” Les bras nous en tombent. Très touffu, le livre va parfois un peu vite dans ses démonstrations et s’adresse d’abord aux personnes sensibles à ces questions et désireuses d’accompagner un tel coup de pied dans la fourmilière.
Lexique
Mais l’autrice sait aussi ouvrir des angles inédits. Elle fait preuve d’une pédagogie hors pair, adressant plusieurs passages directement aux professionnel·les désirant faire évoluer leur point de vue, et surtout, en expliquant de manière souvent limpide comment se réapproprier les mots et la pratique du vin. Ainsi ce “dico pédago” en fin d’ouvrage, franchement brillant, qui propose à la fois des définitions de mots souvent inaccessibles aux néophytes (acidité, macération, minéral, bouquet, etc) et quelques commentaires sans appel. Ainsi cette entrée à F comme Féminin : “Utilisé pour décrire un vin délicat, harmonieux, subtil… J’en rajoute encore ? A bannir pour lui préférer les termes de délicat, harmonieux ou subtil, justement”. À quand un essentiel “Dictionnaire du vin inclusif” ?
Manifeste pour un vin inclusif, Sandrine Goeyvaerts, Éd. Nouriturfu. 10 euros
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