Riche d’un teaser long d’un an, l’esthétique bonbon Barbie est devenue une tendance virale sous le hashtag #Barbiecore en 2022, bien avant la sortie du film. En 2023, la vague rose continue : la pop culture, plus efficace qu’un défilé de mode ?
“Barbie est toujours habillée en fonction de ce qu’elle fait”, explique à Vogue la costumière du film Barbie, Jacqueline Durran. Barbie ne suit pas les tendances, elle s’habille en vue d’exercer une profession, déjouant le stéréotype de la femme passive victime de la mode. Mais cela n’empêche pas la blonde au corps plastique d’être l’objet des tendances les plus virales depuis sa création à la fin des années 1950.
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Sept décennies plus tard, coiffée d’un chapeau western opalin et vêtue d’un ensemble de cowgirl rose étincelant, Margot Robbie donne vie à Barbie, perdue sur le bord de la plage de Malibu, Ken, interprété par Ryan Gosling, en accessoire assorti à sa tenue. Nous sommes en juillet 2022 et ces premiers clichés volés du tournage du film de Greta Gerwig consacré au jouet légendaire de la société Mattel deviennent viraux sur Internet, en particulier sur TikTok qui comptabilise une augmentation de 416 % des recherches de vêtements roses selon le site spécialisé Lyst.
Un an plus tard, pour la sortie en salle du film, plus de 100 marques collaborent avec Mattel, des plus luxueuses comme Balmain à celles grand public comme Gap, en passant par le chausseur Crocs. Tout est devenu rose, consommable et prêt à être mis en image sur Internet où le hashtag Barbiecore bat son plein depuis maintenant deux ans. Une stratégie marketing retorse ? Sans doute, mais également un phénomène culturel parlant dans l’ère des microtendances multiples et des Fashion Weeks au million de silhouettes, sitôt vues sitôt oubliés. Barbie bat-elle la mode ? Après le match Barbenheimer, le match BarbieFashion ?
Barbie, tendance malgré elle
Mars 2022, soit seize mois avant que les foules ne s’amassent devant les cinémas pour découvrir le film de Gerwig : quelques journalistes, acheteur·euses et célébrités découvrent au Carré du Temple à Paris 81 silhouettes totalement roses dessinées par Pier Paolo Piccioli pour Valentino. En plein air post-Covid-19, les commentateur·ices invoquent un besoin d’euphorie, tandis que Piccioli explique à la presse que le color block force l’œil à se concentrer sur les détails et les coupes. Sur les podiums, le mot d’ordre 2022 est Y2K ; cela tombe bien car les icônes ayant hanté les années 2000 ont tout de la néo-Barbie : jeans taille basse ornés de strass et crop tops rendent hommage à une poche mode dessinée pour les préadolescentes au tournant du nouveau millénaire, portée à l’époque par Britney ou Paris qui jouaient les néo femmes-enfants en détournant la sémiotique Barbie pour feindre la naïveté.
Deux décennies plus tard, le cycle nostalgique du revival permet à la couleur pop de se glisser dans les robes asymétriques transparentes d’Ester Manas pour prôner le bodypositivisme ou de colorer des ensembles idéaux pour Barbie championne de tennis mais upcyclés chez Marine Serre en juin 2022. On devine également les détournements des codes Barbie dans le vestiaire avant-gardiste queer de Victor Weinsanto qui expliquait aux Inrocks à propos de la blonde crée à la fin des années 1950 : “Son aspect naïf et plastique est parodique et cathartique, et correspond à l’esprit camp que j’explore”. La tendance s’articule à la popularisation de la culture drag, notamment portée par la diffusion de la première saison de Drag Race France à ce moment.
Personne ne connaît encore la garde-robe de Margot Ronbie dans Barbie et pourtant, quatre mois avant que les premières images du film ne circulent, le mot Barbiecore et partout sur Internet et se niche dans les analyse mode avant d’envahir les tapis rouge : “Tout le monde est habillé en rose”, note le supplément mode du New Yorker à propos des Grammy Awards en avril 2022. Barbie et ses relectures se hissent au titre de tendance de l’année selon Lyst. Le complexe mode-célébrité-internets est prêt !
Un vêtement, une fonction
Pourtant, Barbie n’est pas un film mode dans le sens ou le sujet n’apparaît pas dans le film, ni en motif, ni en élément d’intrigue. Comme précisé par la costumière Jacqueline Durran, la mode n’est pas au cœur de la garde-robe de Barbie, qui n’est pas une addict de mode. Ses aspirations sont plus proches de celle du costume, dans le sens historico-occidental donné au costume masculin qui raconte le travail de celui qui le porte.
La seule maison de mode présente dans le film est Chanel, dont Margot Robbie est l’ambassadrice depuis 2018, et qui a signé cinq tenues, dont une courte robe rose accessoirisée d’un sac en forme de cœur, alors que Barbie s’apprête à offrir le sien à Ken – tout du moins lui en donner l’illusion.
Avec Barbie, le sens du vêtement est explicite. Il n’y a pas de message caché, de double sens obscur appelant la maîtrise d’un paratexte pointu. Un justaucorps années 1980 fluo sert à faire du roller à Malibu Beach, un tailleur Chanel monochrome rose permet d’applaudir une consœur Barbie recevant le prix Nobel : l’habit dit l’action.
S’habiller déjoue la mode et les tendances à l’heure où ces dernières se superposent sur Internet et semblent de plus en plus complexes à comprendre. Le Quiet Luxury, composé de vêtements basiques, raconte la richesse dans un contexte de crises répétitives, tandis qu’il faut trouver une explication aux sursauts de mode maximaliste, à l’armure couture de Balenciaga et convoquer des philosophes pour comprendre la mode expérimentale où les vêtements de travail deviennent des vêtement des gala.
Le succès de Barbie ? Le message du vêtement est clair, visible, lisible, compréhensible. Il est simple pour permettre à celui ou celle qui regarde “d’utiliser son imagination”, comme l’expliquent le film et même la chanson d’Aqua. C’est pour cela que Barbie reste une inspiration des designers de mode qui adorent jouer en créant. “Imagination, life is your creation” chantait le groupe Aqua dans son hit pop en 1997.
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