En parallèle du circuit des égéries K-Pop, l’industrie de la mode renoue avec des partenariats protéiformes avec des actrices récompensées, parfois absentes des réseaux sociaux. À l’image de l’esthétique du quiet luxury, anti-ostentatoire et axée sur la qualité, assistons-nous à l’avènement de la “quiet celebrity”, remède à la star en quête de buzz ?
Une robe fourreau de velours noir à l’encolure ultra-graphique, frappée d’un cadenas bijou : une silhouette entre le vieux Hollywood et la diva surréaliste habillait l’actrice allemande Sandra Hüller sur le tapis rouge des Oscars. Nominée pour son rôle dans Anatomie d’une chute, elle porte ici une robe couture Schiaparelli par Daniel Roseberry, tandis qu’elle arborera quelques jours plus tard sur le tapis rouge des César un costume noir brodé de 9 000 paillettes signé Louis Vuitton par Nicolas Ghesquière.
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Habituellement discutée pour sa technique d’interprétation plutôt que pour son style vestimentaire, l’actrice en pleine ascension suscite l’intérêt des créateurs de mode. Et cela dépasse le classique exercice du tapis rouge, puisque la créatrice anglaise Phoebe Philo, connue pour son esthétique quiet luxury, choisissait l’actrice il y a quelques semaines comme égérie du second drop de sa marque, lancée en novembre 2023. Assise en tailleur, cheveux gominés, chemise rayée, la star au trait androgyne prend la pose et devient l’incarnation idéale de la mode de Philo, articulant fluidité de genre, inaccessibilité des prix, et simplicité apparente du design. Comme l’esthétique quiet luxury, l’actrice est un antidote de l’exubérance et est reconnue pour son travail. Sa vie privée reste inconnue, et elle ne dispose pas d’un compte Instagram.
“Dans la mode actuelle, il y a un dosage entre les classiques et les célébrités modernes selon la manière dont la maison souhaite s’affirmer sur le marché. La catégorie des stars classiques correspond aux stars les plus légitimes qui relèvent des arts les plus reconnus.”, explique Jamil Dakhlia, professeur de sociologie des médias.
Le crépuscule des stars sans talent ?
Ce retour des classiques se devine à travers la présence d’actrices oscarisées comme Emma Stone, Cate Blanchett et Jennifer Connelly chez Louis Vuitton, de la britannique Kristin Scott Thomas chez Louboutin ou encore de Pénélope Cruz au dernier défilé Chanel, alors que l’actrice rejoue avec Brad Pitt des scènes du film Un Homme et une femme de Claude Lelouche (Oscar du meilleur film étranger en 1967, ndlr) dans le cadre d’un court métrage promotionnel pour le sac iconique de la maison. Si cette présence n’est pas synonyme de la disparition complète des représentants de la pop culture et des célébrités issues de l’ère des réseaux sociaux, elle marque une nouvelle articulation.
“On remarque qu’au début des années 2010, Olivier Rousteing utilisait des vedettes de la téléréalité pour donner un coup de pied dans la fourmilière. Par ailleurs, il connectait, via ses nouvelles stars, un chic à la française fantasmé à un village planétaire.”, se souvient Jamil Dakhlia. À l’époque, la Balmain Army réunissait la controversée Kim Kardashian, incarnation de la star dite sans talent aux courbes loin des standards corporels blancs de l’industrie de la mode, mais aussi Rihanna. Le geste est à la fois une acceptation de la culture populaire, une marche vers l’inclusivité ainsi qu’une adaptation aux codes culturels des réseaux sociaux. Assiste-t-on à un retour en arrière ?
Nouvelles cohabitations
Aujourd’hui, la présence des stars issues des réseaux sociaux s’est banalisée, et certaines d’entre elles, à l’instar de Kim Kardashian, incarnent désormais un modèle de réussite, décrites comme des businesswomen ayant réussi à transformer la culture de l’influence en art. Égérie de la marque Balenciaga, elle assistait, en mars, au défilé aux côtés de l’actrice récompensée Isabelle Huppert. “C’est un moyen de télescoper différentes catégories de stars, qui ne sont pas habituellement associées et ainsi de créer l’événement”, note Jamil Dakhlia.
Cette association est également présente chez Loewe, où Shawn Mendes, suivi par près de 73 millions d’abonné·es sur Instagram, et Catherine Deneuve, sans compte Instagram, mais avec de multiples comptes de fans, assistent ensemble au dernier show de la maison, témoignant d’un paysage stellaire composite. Les icônes du cinéma français jouent alors avec leur image tout en étant un gage rassurant d’intemporalité. Dans son ouvrage Fame Attack, traitant de la multiplication des typologies de stars éphémères à l’ère d’Internet et de la banalité de la célébrité, Chris Rojek soulignait l’image intemporelle offerte par les grands noms, et notamment les gens du cinéma, qui sont les premières célébrités modernes.
La mise en avant actuelle de ces quiet-celebreties, à la fois mythologiques et dénuées de médias sociaux, coïncide avec une backlash face au buzz éprouvé par plusieurs marques ces dernières années. C’est aussi renouer avec de grands symboles, l’idée d’un talent, d’une vie privée protégée, mais pour autant est-ce gage de diversité ? Des mythologies extra-occidentales seront-elles convoquées ? Affaire à suivre.
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