À quelques jours de l’ouverture de la Fashion Week femme, qui se tiendra à Paris du 26 février au 5 mars, le président exécutif de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode revient sur les liens entre mode, musique et arts.
Avant de rejoindre la Fédération de la Haute Couture et de la Mode en 2016, Pascal Morand faisait partie d’un groupe de rock. Économiste de formation, son intérêt pour la créativité ne l’a jamais quitté.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Auteur de plusieurs livres – Les Religions et le luxe (2012), ou Le Moment viennois (2021) –, il veille sur la jeune création et travaille depuis huit ans avec ses équipes sur de nombreux enjeux : le digital, mais aussi l’impact environnemental des semaines mode. Rencontre.
En 2023, on a pu voir les Libertines chez Celine pour le défilé organisé au Palace, Sofia Coppola réaliser le court métrage annonçant le défilé Chanel Métiers d’art, Rosalía faire un concert chez Louis Vuitton dans un décor réalisé par Michel Gondry… La mode, c’est plus que de la mode ?
Pascal Morand – La quête de créativité reste une priorité à Paris. La mode est un point de confluence, que nous soutenons à travers tout un écosystème et la Fédération de la Haute Couture et de la Mode veille à sa symbiose. Pierre Bergé disait que l’école de Paris en matière de mode s’inscrit dans la continuité de celle qui a agité la peinture pendant l’entre-deux-guerres. On pense aux alliances entre Schiaparelli et la scène surréaliste dans les années 1930, puis à Christian Dior, ancien galeriste, qui s’est lié à Braque, Stravinsky, Schönberg… le regroupement artistique est indispensable, et fait partie du travail même du créateur.
Une unité des arts gravite à Paris autour de la mode depuis des siècles. Par exemple, la littérature : pour son premier défilé de prêt-à-porter chez Dior en 2017, Maria Grazia imprimait sur un T-shirt la phrase “We Should All Be Feminists”, phrase de l’écrivaine nigérienne féministe Chimamanda Ngozi Adichie. On peut parler, toujours chez Dior, de Kim Jones, qui rendait hommage à la Beat Generation — Neal Cassady, Allen Ginsber, Jack Kerouac — dans ses collections homme. Parmi les jeunes créateurs, Louis Gabriel Nouchi prend toujours un roman comme point de départ de ses collections : Bel Ami, American Psycho. Chanel organise ses rendez-vous littéraires, où l’on a pu retrouver Leïla Slimani. Et je pense à Saint Laurent qui vient d’ouvrir sa librairie-galerie dans le VIIe à Paris.
La symbiose entre culture et industrie peut-elle étonner et susciter des critiques à l’égard de la mode, encore décrite comme frivole ?
La mode est en soi un démenti contemporain des théories de l’école de Francfort, soit le courant de pensée critique des années 1930, qui dénonçait l’industrialisation de la culture, perçue comme le signe de dégradation de cette dernière.
Et si l’on continue avec les caractères philosophiques et que l’on emprunte à Zygmunt Bauman son concept de société liquide, qui désigne un état ou les individus ne construisent plus rien et existent simplement à travers la consommation, et bien la mode, c’est l’anti-société liquide. C’est une effervescence créative qui permet d’échapper à la liquidité.
La création musicale occupe aussi une grande place dans les défilés ?
La musique illustre ce phénomène d’hybridation continue de la mode. En 2016, alors que je venais de prendre mes fonctions à la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, l’époque était dominée par Hedi Slimane et l’indé. Il n’y avait pas du tout de hip-hop, sauf chez Olivier Rousteing chez Balmain, ce que j’appréciais beaucoup ! Ce n’est qu’en 2018, avec la nomination de Virgil Abloh à la tête des collection hommes chez Louis Vuitton que ces influences ont explosé. De plus en plus de musiciens américains s’intéressaient à la mode et voulaient lancer leurs marques depuis plusieurs années. Aujourd’hui Pharrell Williams, prend la relève de Virgil Abloh, et permet de poursuivre cette dynamique avec les nouveaux mondes du hip-hop. La collaboration qu’il vient d’annoncer avec le rappeur Tyler The Creator le prouve.
En 2020, vous avez dû affronter la pandémie du Covid-19. Que peut-on retenir de cet épisode en ce qui concerne le format des défilés ?
Aujourd’hui, la production des défilés de mode sort enrichie de cette expérience, et pour de nombreuses maisons, les shows sont autant pensés pour la diffusion en ligne que pour les personnes présentes. On constate aussi que les nouveaux médias gardent les traces esthétiques et la narration des anciens : les défilés viennent du théâtre, puis ont emprunté au cinéma. Le dernier show Maison Margiela l’a montré, et il a beaucoup tourné sur les réseaux.
Depuis 2021, L’Institut français de la mode ouvre le bal de la Semaine de la mode avec les shows des étudiant·es de master. Quelle est la place de l’école dans le fonctionnement de la mode à Paris ?
Son importance est cruciale. On voit l’importance que le Central Saint Martins (composant mode et design de l’université d’Art de Londres) a eue sur la scène londonienne dans les années 1990 dans le cadre de la politique des “creative industries” portée par le Royaume-Uni.
Pour en revenir aux écoles parisiennes, la fusion, advenue en 2019, entre l’École de la chambre syndicale et l’IFM, permettant la réunion des créatifs et des profils management et business, est un projet de leadership mondial. Pour que les groupes de luxe et la Fashion Week de Paris conservent leur position, un écosystème de formation fort, avec des écoles comme L’IFM, mais aussi publiques, comme Duperré, est indispensable.
Presque la moitié des étudiant·es de L’IFM viennent de l’international et 23 nationalités sont représentées cette saison à la Fashion Week de Paris. Cette dimension est-elle caractéristique de Paris ?
La question du cosmopolitisme en France est importante, car c’est un vecteur d’entraînement, d’influence de compétitivité. C’est au cœur de notre softpower. Chaque saison, nous recevons des dossiers de nouveaux pays. Et on ne va draguer personnes : les maisons viennent pour la légitimité qu’apporte Paris pour la mode. Ils passent alors devant un comité consultatif formé avec un jury international. Les projets sont retenus selon leur qualité créative, leur capacité d’innovation sans regarder les pays d’origine.
En mars 2023, vous aviez signé une tribune pour Le Monde qui expliquait qu’en se focalisant sur la performance environnementale de chaque produit, on ne parviendrait pas à résoudre cette question.
Depuis 2019, on travaille, à la Fédération, sur des outils d’écoconception qui mesurent l’impact des événements physiques, mais aussi digitaux. Il n’existe rien sur la chaîne de valeur événementielle et encore moins sur l’impact du numérique et du streaming. Nous ne sommes pas là pour donner des leçons aux maisons, mais pour participer à une réflexion commune indispensable aujourd’hui.
Comment résumer et décrire la scène actuelle ?
Un accroissement d’influence et d’attractivité et une poursuite de l’effervescence créative. Je pense beaucoup à Baudelaire en ce moment et à sa phrase : “La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable.” Je pense que cela illustre toujours l’idée de la création de mode aujourd’hui.
{"type":"Banniere-Basse"}