La ballerine, qui traverse les décennies en changeant tout en restant la même, est de retour sur les tapis rouges et les podiums. Devenu genderfluid et déchaînant des passions contraires sur TikTok, ce soulier symbolise une nouvelle étape dans les liaisons entre mode, vestiaire post-binaire et esthétique internet.
Modèle orné de strass chaussant l’homme chez Loewe ou en satin associé à des hoodies oversize pour les mannequins néo-grunge aux arcades percées chez Balenciaga : la ballerine sort du registre femme-enfant et s’infiltre dans les défilés masculins.
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Mais l’annonce de son retour s’accompagne d’abondantes controverses sur la plateforme TikTok, qui agrège les niches. “Il faut qu’on parle d’un sujet de crise !”, peut-on même y lire alors que le tag #uglyballerina rassemble déjà 12,5 milliards de vues dans le but de trouver la paire de ballerine la plus moche.
Comble du cool et du répugnant, certains modèles d’avant-garde sont devenus viraux : dérivée de la bottine Tabi de Martin Margiela chaussant les anti-mode, la version ballerine pailletée ou vernie reconnaissable à son split toe est devenue un hit, tout comme les Prada vintage des années 1990 à la semelle ondulée façon amas de bulles. Par contraste, des versions plus épurées et enfantines, comme le modèle en satin Miu Miu, se hissent en tête des recherches selon le site Lyst. Que dit cette cohabitation entre premier et second degré ?
De la babydoll à l’indie sleaze
Retour sept décennies en arrière : le soulier fonctionnel quitte les vestiaires de l’Opéra pour chausser les icônes hexagonales d’une culture adolescente triomphante. La ballerine agrémente les jupes vichy de Brigitte Bardot ou les robes métalliques de Françoise Hardy signées Paco Rabanne, alimentant une sémiotique de la femme-enfant. Pourtant, dans le monde du luxe, elle s’associe à un vestiaire parisien intemporel plus adulte, à l’instar de la version beige et noir siglée d’un double C imaginée par Gabrielle Chanel en 1957.
Simultanément luxe et underground, la ballerine traverse ainsi les Trente Glorieuses et ne cesse de s’hybrider tout en restant toujours liée au féminin. Il faudra attendre l’avènement de la culture internet pour que le symbole se complexifie : associées à des slims noirs aux pieds de Kate Moss ou aux polos Fred Perry d’Amy Winehouse sur des images capturées par les paparazzis, elles accompagnent une nouvelle performance féminine où les codes infantilisants s’hybrident à ceux de l’underground.
Nourrir TikTok
Une décennie plus tard, à l’ère de la genderfluidity, les marques repensent leur modèle et innovent : un talon s’ajoute aux ballerines Miu Miu, tout comme chez Versace et Jacquemus, symbolisant la rencontre entre l’hyperféminité performative et l’enfance. Mais la grande nouveauté, c’est que la ballerine s’échappe du vestiaire féminin, en version panthère punk chez Vivienne Westwood ou ornée de rubans chez Thom Browne. Désormais, elle accompagne simultanément une déconstruction des masculinités patriarcales et des jeux de performances féminines en se déclinant dans de nombreuses esthétiques allant du minimal à l’ostentatoire, du kitsch au chic.
Plus que genderfluid, la ballerine est dans l’esthétique du fluide, répondant ainsi à la logique TikTok des niches stylistiques plurielles et hybrides. Tendance ouvrant les possibles, elle s’élève contre les tendances uniformisantes, proposant d’être “différent pareil”, comme les sneakers blanches. La ballerine propose d’être “différent ensemble” – et les internets adorent en discuter !
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