Le cinéaste a durablement inspiré le monde de la mode et s’est lui-même amusé à la disséquer.
“Depuis des éternités, la mode lutte contre l’éternité“, écrivait, non sans ironie, Jean-Luc Godard dans l’un des films publicitaires qu’il réalisa en 1987 pour la marque de prêt-à-porter Marithé + François Girbaud.
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En parallèle de ses longs métrages, il composa, à la fin des années 1980, deux séries de dix-sept clips de 20 à 30 secondes chacun pour le couple de stylistes. Dans l’un, on découvre une paire de jeans prendre vie par la magie de la voix off le présentant comme pantalon, “pas jeans américain”. Dans un autre, on observe un couple au bord d’une plage, rappelant les silhouettes d’Anna Karina et Jean-Paul Belmondo évadées de Pierrot le fou, réalisé plus de vingt ans auparavant. “La mode c’est quoi ?“, demande l’homme. “Quelque chose”, répond la femme.
En 1988, Godard étend son format et déconstruit la représentation du défilé de mode à travers un court métrage de 13 minutes intitulé On s’est tous défilé – toujours pensé en partenariat avec Marithé + François Girbaud. Mêlant citations picturales, captations des rues parisiennes et mannequins sur les podiums, il rapproche histoire de l’art, mode du quotidien et défilés. À coups de zooms et de fondus enchaînés, ces mondes éloignés s’hybrident, donnant à penser le rapport de la société à la mode, que ce soit la peur de ne pas arriver à suivre les tendances ou l’influence réciproque entre les rues et les créateur·trices. “La mode moderne ne serait plus un marqueur de classe”, conclut Godard de sa voix iconique.
Pourtant, ce n’est pas la théorisation godardienne de la mode qui est communément retenue par le milieu de l’éphémère, mais plutôt les icônes construites par le cinéaste durant les premières décennies de sa carrière. De l’eye-liner et la marinière de Bardot dans Le Mépris en 1963 à la jupe écossaise de Chantal Goya dans Masculin féminin en 1966, les images de Godard sont inscrites au cœur du langage de la mode, lues, relues et détournées de saison en saison.
Au tournant des années 1960, la mode, tout comme les premiers films de Godard, participe à décrire la jeunesse de l’époque. En pleine révolution pré-68, les héroïnes de ses films racontent une nouvelle féminité et une volonté d’émancipation. Ni femme ni enfant, Anna Karina apparaît en jupe, gavroche et chaussettes hautes dans Bande à part (1964). L’énergie du film marquera durablement la créatrice Michèle Lamy – égérie et productrice du créateur Rick Owens –, tout comme Pierrot le fou, où Anna Karina alterne entre une panoplie jean-veste militaire et une robe à volants. En 2007, agnès b. rassemblera ces différents costumes dans le cadre d’un défilé hommage.
Godard, icône
Au fil des années, les séries mode s’inspirant des looks de Jean Seberg dans À bout de souffle (1960) se multiplient. Marinière, trench, ballerines, mais aussi poitrine nue sous une chemise masculine : la jeune Américaine devient une figure centrale de l’iconographie de la Parisienne, comme le souligne Agnès Rocamora dans son ouvrage Fashioning the City, Paris, Fashion and the Media (Bloomsbury, 2009). Le T-shirt estampillé New York Herald Tribune, qu’elle arbore dans le film, sera repris en 2010 par les sœurs de la marque Rodarte. Enfin, en 2020, la créatrice Virginie Viard s’inspire des films de la Nouvelle Vague pour Chanel, alors que la maison soutient la rétrospective dédiée à Godard à la Cinémathèque française de Paris. La boucle est bouclée.
Si les personnages que Godard a construits pour ses films sont devenus des icônes de mode, lui-même a suscité le désir de l’industrie. En 2019, il recrée son atelier personnel pour la fondation Prada, à Milan. Un an plus tard, il figure dans la série Portrait of an artist, réalisée par Hedi Slimane pour la maison Celine, coiffé d’un fedora à large bord et vêtu d’un blazer rayé : le cliché fait référence à l’âge d’or du cinéma. Au milieu de ses livres, dans sa maison à Rolle, en Suisse, le voici devenu icône de mode à l’âge de 90 ans. Articulé à l’image, le texte, écrit à l’époque, peut se lire aujourd’hui comme un testament : “Il vous suffira de couper le son, de ne regarder que son souvenir dans les images.”
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