Le nouveau scandale de l’industrie de la mode, qui sera diffusé samedi 21 novembre sur France 2, dévoile les dessous du travail forcé de cette minorité musulmane, en Chine. De nombreuses marques de mode ont été récemment épinglées dans un rapport, accusées de se fournir auprès d’entreprises chinoises qui ont recours à ces travailleurs.
Ce samedi 21 novembre, à 14h, sera diffusé le documentaire Le nouveau scandale de l’industrie de la mode, réalisé pour l’émission Tout compte fait, sur France 2. Celui-ci dévoile les effroyables conditions de travail des Ouïghours dans des “sweatshops” (pour “ateliers de misère”), notamment pour le compte de grandes marques de mode. Nombre d’entre elles – Nike, Gap, Uniqlo… – ont récemment été épinglées dans un rapport indépendant selon lequel 83 multinationales sont liées au travail forcé de membres de cette minorité musulmane dans la province du Xinjiang, en Chine. Celle-ci est victime depuis plusieurs années d’une politique de répression par Pékin, de nombreuses enquêtes ayant mis en avant, outre le travail forcé, l’existence de camps d’internement (jusqu’à 1,8 million d’Ouïghours y seraient détenus), de stérilisations forcées ou encore de viols. Les Inrockuptibles sont allés à la rencontre de la journaliste qui a signé l’enquête, Jessica Bertaux.
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Quelle a été la genèse de ce projet ?
Jessica Bertaux – En mars 2020, l’ASPI, un groupe de réflexion australien et indépendant, a révélé dans un rapport intitulé “Ouïghours à vendre” que 83 marques internationales – des multinationales des secteurs de l’automobile, du high-tech et des textiles – auraient bénéficié du travail forcé des Ouïghours, une minorité musulmane persécutée en Chine. Nous avions envie de comprendre comment ces marques ont pu être directement ou indirectement impliquées dans ce scandale.
Comment avez-vous organisé et structuré votre enquête ?
Pour comprendre le travail forcé dans ces usines, nous avons d’abord contacté les auteurs de l’enquête de l’ASPI, puis les chercheurs qui travaillent sur le sujet des Ouïghours. Dans notre reportage, le chercheur allemand indépendant Adrian Zenz (l’un des premiers à avoir apporté la preuve de l’existence de camps d’internement d’Ouïghours au Xinjiang, en Chine, ndlr) a accumulé de nombreuses preuves. C’était très difficile de récolter des témoignages directs d’Ouïghours victimes de travail forcé, car le simple fait d’envoyer des messages à l’étranger est un motif de détention dans un camp. Beaucoup craignent pour leur vie et celles de leurs proches. Grâce à la lanceuse d’alerte Dilnur Reyhan, nous avons retrouvé la trace d’Omir, un rescapé qui est resté enfermé sept mois dans un camp de détention. Sur place, il a été victime d’intimidations et de tortures et a échappé de peu au travail forcé.
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Pouvez-vous me parler de la façon dont sont contraints les Ouïghours à travailler dans ces “sweatshops” (“ateliers de misère”) par le pouvoir de Pékin ?
Il faut savoir avant tout que le régime de Pékin a mis en place en 2017 un programme de lutte contre la pauvreté des Ouïghours. Avec ce plan, les usines sont encouragées financièrement à embaucher des travailleurs issus de cette minorité musulmane. Selon la version officielle, ce serait un moyen de les éloigner de l’extrémisme religieux. Aujourd’hui, on sait que nombre d’entre eux avaient déjà un travail qualifié. Certains sont prisonniers en “camp de rééducation”, où ils travailleraient dans des usines construites à proximité. D’autres travailleurs seraient transférés en dehors de leur province d’origine, le Xinjiang, vers des usines qui produisent des vêtements pour le compte de grandes multinationales. Beaucoup ont peur de refuser ce travail, de crainte d’être envoyé en camp de rééducation. Des camps où on leur apprend à devenir “de bons Chinois”.
Pouvez-vous me décrire les conditions de travail de ces petites mains et les différentes opressions et injustices auxquelles ces travailleurs font face ?
Les usines dans lesquelles les Ouïghours travaillent sont ultra-sécurisées, entourées de murs d’enceinte, de tours de guets et de dispositifs de surveillance qui empêchent les travailleurs d’entrer et sortir à leur guise. Selon les rares témoignages qu’on a, ils dormiraient sur place et seraient autorisés à sortir seulement une fois par semaine. Certains Ouïghours ont révélé être payés l’équivalent de 96 euros par mois. Soit deux fois moins que le salaire moyen au Xinjiang.
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Dans quelles mesures les entreprises européennes faisant appel à ce type de production sont-elles conscientes et responsables de la situation ?
Les entreprises européennes ne sont pas toujours conscientes de cette exploitation car le vrai problème réside dans l’opacité de ce secteur. Pour travailler avec ces multinationales, les fournisseurs vont signer des chartes éthiques qui les engagent à ne pas recourir au travail forcé.
Sauf que ces mêmes fournisseurs vont parfois eux-mêmes sous-traiter les commandes des marques. On se heurte à un mur car il y a une vraie perte de contrôle quand les marques font produire à l’autre bout du monde. Ces entreprises ont leur part de responsabilité, car elles devraient pouvoir multiplier les contrôles sur place et sanctionner.
Qu’est-ce que votre documentaire révèle du système de la mode actuelle ?
Il révèle que, comme dans beaucoup d’autres secteurs, cette course effrénée aux petits prix a des conséquences directes sur les travailleurs. La Fast Fashion qui consiste à payer peu pour des nouvelles collections tous les deux mois a des limites. Aujourd’hui, ce système s’essouffle car de plus en plus de consommateurs souhaitent désormais de la transparence sur les produits qu’ils achètent.
Comment agir en tant que consommateur ?
En tant que consommateur, il faut essayer de regarder les étiquettes sur la provenance des vêtements. De nombreuses marques “Made in France” existent, mais malheureusement, elles sont encore peu accessibles en termes de prix. On peut se tourner vers le marché de la seconde main, qui a le mérite d’être aussi plus économique. Nous pouvons aussi changer notre modèle de consommation en faisant le pari de payer un peu plus cher un vêtement que l’on gardera plus longtemps.
Propos recueillis par Alice Pfeiffer
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