A la tête du label Neith Nyer, le créateur brésilien fait du mauvais goût et de l’hyper-sexy ses terrains d’expérimentation pour une mode drôle et populaire qui refuse la dimension normative du beau.
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Des froufrous dignes d’une pâtisserie, des motifs kitsch, des associations de couleurs criardes ou des textiles comme troués par des mites : voici quelques-unes des provocations stylistiques imaginées par Francisco Terra avec son label Neith Nyer.
Le Brésilien lance sa griffe pointue et underground en 2017 à Paris, à la suite – pour ne pas dire en réaction à – de son expérience professionnelle au sein de maisons de mode et temples du bon goût à la française, dont Givenchy et Carven. Depuis, il a bâti tout un vocabulaire anti-esthétique autour d’un “moche sublime” dont il défend la dimension politique et antisystème.
D’où vient votre intérêt pour ce que la majorité de la mode et du luxe désigne comme moche ?
Francisco Terra — Cela est dû à ma double expérience : d’une part, j’ai grandi au Brésil dans un milieu très populaire et de l’autre, j’ai travaillé plus tard dans des maisons de couture parisiennes. J’ai ressenti comme un clash entre ces deux opposés, le beau “officiel” et sa perception de la mode brésilienne, décriée comme ultra-sexy, vulgaire, populaire.
Le luxe parisien m’est alors apparu comme dictatorial, élitiste, discriminatoire. Ce qu’il désigne comme moche provient majoritairement du peuple ainsi exclu. Alors j’ai décidé de jouer de l’aspect populaire – le sexy, le vulgaire – pour emmerder le monde et changer son sens. J’ai voulu montrer une résistance à ce système et, par extension, ses valeurs.
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Quels codes et quelles approches avez-vous mis en place dans cette exploration du moche ?
Je me suis imprégné de codes marginalisés par la dictature du beau. Par exemple, j’ai fait des looks de Lolita olé olé confectionnés à base de napperons et de froufrous par milliers et que je trouve a priori ignobles ; des juxtapositions d’imprimés kitsch, de la moumoute rose. Je vais par exemple confronter un tissu classiquement beau et une coupe affreuse, qui le détourne ; ou, au contraire, des matières ni nobles ni chics, comme l’imprimé tye & die aux couleurs explosives, mais que je vais travailler de façon artisanale. Moches : absolument !
“J’espère avoir un discours qui encourage une expérimentation dans son style et une critique de ce que l’on nomme le beau”
Mais mes vêtements ont un tout autre impact que le luxe classique : ils en deviennent drôles, autodérisoires, sur eux-mêmes autant que sur la mode ; c’est une façon pour moi de ne pas prendre au sérieux mon métier de créateur, à l’inverse des stylistes stars dans leur tour d’ivoire qui ont l’impression de changer le monde. J’espère avoir un discours qui rassemble autour du rire et de la surprise, ouvert, et qui encourage une expérimentation dans son style et une critique de ce que l’on nomme le beau.
Le beau est-il politique ?
Le beau, comme le moche, est politique. Entre les lignes, le beau promu par le luxe est en réalité le fief de l’homme blanc cisgenre, patriarcal et néocolonial qui assoit ainsi sa domination. Faut-il s’étonner que les productions de ces grands groupes, en plus d’être ultra-normées, soient délocalisées, produites à la chaîne à l’autre bout du monde ? Revendiquer la laideur, c’est questionner un système dont on est exclu. D’abord en se penchant sur la place du corps, du genre, des normes, par l’allure dessinée par mes tenues : laisser fièrement jaillir des formes nommées défauts, dénuder la peau là où on ne l’attend pas, revendiquer l’hyper-sexy.
Pour moi, ce mauvais goût est aussi une démarche, un engagement et pas seulement une esthétique. Pour être véritablement antisystème et démocratique, mon moche doit être le point de départ d’une réflexion sur la mode de demain et la consommation : j’utilise des matières upcyclées ; pour rester à l’écoute et accessible au plus grand nombre, mes prix sont abordables – ce qui veut dire accepter une plus petite marge –, alors, pour créer un sentiment de désir qui ne passe pas par un coût élevé, je produis de petites séries très limitées, pour faire de cette rareté une nouvelle forme de luxe.
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