La créatrice, qui a grandi à Beyrouth, vient de signer les costumes de la nouvelle adaptation cinématographique de “Bonjour Tristesse”, dont la sortie est prévue pour l’automne 2024. Depuis 8 ans, elle construit, à travers sa marque artisanale Renaissance Renaissance, une garde-robe entre poésie et pragmatisme. Tout en portant une vision optimiste sur la création de mode, elle revient ici sur les œillères d’un système encore sexiste et raciste.
Silhouettes aériennes enveloppées de tulle monochrome noir ou opalin, coiffées de bérets inspirés de ceux portés par les femmes militaires au Liban : poétique et grave, douce et puissante, cette garde-robe aux tissus légers, contrebalancés par du cuir, a été composée par Cynthia Merhej, à l’automne dernier, alors qu’éclatait la guerre entre Israël et le Hamas. “J’étais au Liban. C’était déprimant. Tout semblait absurde. Je ne voulais pas transformer ma collection en déclaration politique littérale, mais partir d’émotions. Donner de la légèreté sans évacuer la tristesse derrière. Je pensais beaucoup à la figure du clown triste.”, explique-t-elle.
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Depuis 2016, la créatrice libanaise explore cet équilibre entre l’indicible et la lumière, la hantise d’une guerre civile qu’elle n’a pas connue et l’espoir de la reconstruction ; à travers sa marque, au nom en épizeuxe, comme un vœu : Renaissance Renaissance.
Entièrement produits à Beyrouth sans surplus textile et dans le respect des techniques artisanales, ses vêtements expriment un dialogue entre l’Orient et l’Occident, et célèbrent une lignée de femmes couturières dont elle est issue. Son arrière-grand-mère avait un atelier à Jaffa, dans ce qui était alors la Palestine ; sa mère, Laura, confectionnait des vêtements pour les femmes de Beyrouth, et s’occupe aujourd’hui de l’atelier de la marque. Trois générations, trois visions de la mode, et toujours une question : quelle place pour les femmes dans ce milieu ?
Penser un univers
Si la mère de Cynthia confectionnait des vêtements de façon très pragmatique, pour répondre aux besoins des femmes de Beyrouth, sa fille souhaitait, elle, créer un univers artistique. Elle quitte le Liban pour faire ses études à Londres et passe sur les bancs du Central Saint Martins, où elle suit des cours de communication visuelle et d’illustration. Une formation multidisciplinaire lui permettant d’aborder de façon autonome les différentes facettes de la construction d’une marque qu’elle lance au Liban en 2016.
“J’aime l’ambiguïté, les entre-deux, mais dès le départ, mes créations ont été catégorisées comme très féminines. Moi, je n’ai jamais pensé que ma marque n’était que cela. J’ai toujours essayé de composer par juxtapositions. Je suis curieuse de savoir si mes vêtements auraient été jugés de la même manière si j’avais été un homme”, s’exclame la créatrice, se souvenant de la prédominance de l’adjectif “girly” dans le discours des commentateurs masculins.
Une mode rapide, mais des évolutions lentes
Peut-être est-ce à cause des nœuds, si nombreux qu’ils deviennent parodiques, ou du tulle et des ballerines, pourtant accessoirisés avec de larges pantalons tailoring. Quand elle fonde Renaissance Renaissance, peu de femmes occupent des postes de directrices artistiques dans de grandes maisons : Maria Grazia Chiuri arrive en 2017 chez Dior. Huit ans plus tard, les choses n’ont pas assez évolué : “En tant que femme, il faut travailler cinq fois plus pour être légitime et faire ses preuves. Un homme blanc peut être médiocre, mais il obtiendra de l’attention médiatique… On a l’impression qu’on n’arrête pas de se battre contre le système, et qu’il ne cesse de répéter ‘vous n’êtes pas assez’. Cela mène à travailler plus, et conduit au burn-out. Je suis passée par là.”, confie-t-elle sans affront.
Pourtant, au milieu des rafales, la créatrice relativise, préférant mettre en avant les ouvertures, comme le fait d’avoir été la première femme arabe, semi-finaliste au prestigieux prix LVMH en 2021 ; “J’espère que cela a ouvert des portes. Que des filles arabes se diront que c’est possible.” En effet, si un problème sexiste rôde dans l’industrie, il est encore plus prononcé pour les femmes arabes. “Je ne suis pas dupe”, ajoute Merhej, qui souligne de façon perspicace “ j’ai la peau blanche, j’ai l’air européenne, j’ai un passing”.
En mars, elle présentait un vestiaire plein d’espoir et de douceur à la Fashion Week parisienne et a annoncé sa participation au film Bonjour tristesse, où elle habille l’actrice Chloé Sevigny. “Je suis obsédée par le conte et le cinéma, c’est comme un rêve. Travailler avec la réalisatrice Durga Chew-Bose et Miyako Bellizzi, la costumière, m’a appris à aborder les vêtements du point de vue d’un personnage plutôt que d’une collection.” Une nouvelle Renaissance !
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