Au milieu des robes de princesses et parure à milles paillettes, l’actrice Helen Miren dénonce l’âgisme à travers un coup capillaire, le casting du dernier Almodovar questionne les normes de masculinité et Bilal Hassani rend hommage à l’avant-garde de la mode… C’est le cool spécial Cannes 2023.
“Qui a besoin de la semaine de la mode quand on a le Festival de Cannes ?” twittait le 16 mai dernier la critique mode du New York Times, Vanessa Friedmann, soir d’ouverture de la 76e édition du Festival de Cannes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
À l’heure ou la présence des mannequins et influenceurs sur le tapis rouge n’étonne plus personnes, et ou les marques de luxe ne se contentent plus d’habiller actrices et acteurs mais soutiennent les financements des films – Little Blue Girl de Mona Achache ou Jeanne du Barry de Maïwenn pour Chanel ; et les produisent – la maison Yves Saint Laurent a créé sa propre société ayant produit le court-métrage de Pedro Almodóvar et le tout dernier Godard tous deux en sélection -, le tapis du Festival de Cannes signale la fusion avancée entre ces deux industries créatives, liée depuis longtemps par une économie de la visibilité mutuelle. L’une nourrie son capital culturel et l’autre financier.
Quant au tapis rouge, il ne remplace pas les podiums. La différence majeure ? Les vêtements présentés le long des 24 marches cannoises, sont déliés de référence au quotidien, plus proches de parures surréalistes que d’uniformes appropriables par le commun des mortels. Certaines maisons, à l’instar des ateliers McQueen, créent des “celebrity custom” soit des tenues inspirées des collections et repensées spécialement pour les stars : l’actrice Elle Fanning portait une robe de princesse custom composé d’une jupe de tulle poudré et bustier brodé de fins cristaux pour la cérémonie d’ouverture.
Dans cet univers d’images en bord de mer, les talons hauts Saint Laurent remplacent les sneakers, les costumes aux coupes impeccables Celine font oublier les jeans, et les parures Chopard les bijoux fantaisie. Tout n’est que fête et réception dans une vie rêvée ou les stars épousent leur image mythique, ou le paraître se confond avec l’être comme l’expliquait le sociologue Edgar Morin en 1957 dans son essai Les Stars.
De l’aéroport de Nice à l’entrée de l’hôtel Martinez, les stars-images fascinent Tik Tok où les looks génèrent vidéos et commentaires : 193,5 millions de vues comptabilisées sur pour le hastag #FestivaldeCannes. Ces parures célestes chimériques racontent-elles encore l’époque ou un rêve hors-sol ?
L’anti Quiet Luxury politique
Robe rose des vents surmontée d’une large cape de satin rouge Dior par Maria Grazia Chiuri pour Uma Thurman, ou robe pailletée signée Celine pour Naomi Campbell : la montée des marches du film Jeanne du Barry de Maiwenn prenait des airs de cours haute couture, à l’envers des tendances luxe discret ayant envahi Tik Tok qui analyse l’esthétique comme une réponse à la récession. Longues traînes, robes bustiers ornées de paillettes : au milieu de ce cérémoniel ostentatoire Helen Miren tire son épingle du jeu avec ses cheveux bleu pastel assortis à sa robe DelCore à l’esthétique néo-Marie-Antoinette plus proche du punk que de la version princesse aseptisée. L’actrice britannique de 77 ans, égérie l’Oréal, joue de son statut médiatique et adresse l’âgisme prégnant dans les normes de beauté. Avec son éventail ou s’inscrit #WORTHIT en majuscules, elle détourne avec humour le célèbre slogan L’Oréal et montre que le jeu de la parure ostentatoire n’est pas dénuée de dimension politique. Un geste des plus camp.
Les néo-smocking Saint Laurent
Chemise en version col lavallière ou opaline avec large décolleté descendant jusqu’au nombril : Manu Rios, Jason Fernandez et Jose Condessa détournent le dresscode rigide réservé à la gente masculine lors du photocall du western queer de Pedro Almodovar, Strange Way of Life. Habillés dans la dernière collection Saint Laurent par Anthony Vaccarello, producteur du film, ils incarnent une masculinité fluide, déliée du rigide smoking ton sur ton noir composé d’une chemise haute boutonné jusqu’en haut du cou et surmonté d’un nœud papillon. Rios, Fernandez et Condessa récidivent sur le tapis rouge avec des smokings portés sans chemise ou avec col lavallière. Après le dos nu de Chalamet à Venice en septembre dernier, ce dévoilement du torse raconte une déconstruction progressive des normes masculines. C’est également une récupération du droit à la mode, longtemps réduite aux frivoles et donc aux femmes dans le système patriarcal.
Le statement mode
Robe en soie brodée, articulée à un jupon taille basse et une néo coiffe punk : les modeux reconnaissent l’un des looks de la collection posthume de l’enfant terrible de la mode Alexander McQueen, décédé en 2010. Ensemble légendaire haute couture faisant partie de la collection “Angels and Demons” de l’hiver 2010, jamais porté sur un tapis rouge, il habille la pop star Bilal Hassani, qui déjà l’année dernière faisait un statement mode, vêtue d’une pièce stockman issue de la collection “Semi-couture” de Martin Margiela. Avec la complicité de son styliste Nikita Vlassenko, le chanteur puise dans un répertoire créatif ayant remis en question les normes vestimentaires modernes, et notamment sa partition genrée. Liant haute culture et underground, et imaginant des récits adressant des thématiques tel que le viol ou l’hystérie, McQueen repense le rôle de la mode.
“Dans la continuité de l’archive Margiela, je voulais travailler avec Alexander McQueen et la dernière collection comptant tout juste 16 pièces dessinées, pendant que sa mère était en phase terminale. Une collection assez intense pour le milieu de la mode, et difficile à trouver… J’ai été mis en contact via Alexandre Samson, conservateur du Palais Galliera avec Marie Blanchet qui avait la tenue en cristaux entièrement noire — une pièce de deuil. À l’heure ou Bilal Hassani reste une personnalité malheureusement clivante en France – et qui fait face à une homophobie sans vergogne -, utiliser ces looks chargés d’histoire et difficile à trouver, c’est comme un pied de nez. Le prestige mode de ces tenues sont à la mesure du prestige de Bilal. C’est donc politique.” précise le styliste Nikita Vlassenko .
{"type":"Banniere-Basse"}