En mars dernier, Casey Cadwallader présentait un show rythmé par des jeux de fumée et de rideaux, mais surtout composé d’un casting inclusif, chose devenue rare sur les podiums parisiens. Diplômé en architecture, celui qui est passé par Marc Jacobs, Loewe ou encore Acne Studios, poursuit depuis 2017 l’héritage de la maison Mugler en l’actualisant d’une réflexion sur la diversité des corps et la place des groupes marginalisés dans la mode. Rencontre.
La maison Mugler se distingue dans le paysage de la mode par sa proximité avec la culture pop : de nombreuses célébrités ont foulé le podium depuis ton arrivée à la direction artistique en 2017, de Paris Hilton à Yseult. Quelle est la place de la pop culture dans ta vie ?
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Casey Cadwallader – Je suis d’origine américaine, donc la pop culture fait partie intégrante de moi, et heureusement, c’est aussi le cas de Mugler, qui a livré de véritables moments de pop culture dans les années 1980 et 1990 ! Les pop stars sont des personnages, des divas puissantes, séduisantes par leur talent et leur force. Et c’est le message de Mugler : de la confiance en soi, une pointe de drama, et de l’audace !
Tu as habillé Beyoncé lors du Renaissance Tour. Comment s’est passée la collaboration ?
C’est sans doute l’une des choses les plus exaltantes qui me soient arrivées. J’ai déjà eu la chance de l’habiller pour le On the Run Tour II avec Jay Z alors que je débutais chez Mugler. C’était symboliquement très important pour moi et pour la marque : elle nous a mis sur le devant de la scène. Pour le Renaissance Tour, j’ai pu la rencontrer à Los Angeles avec son équipe, et leur faire différentes propositions de manière très libre. Une liberté rare ! Alors que je réalisais des croquis, son équipe m’a demandé quelle était ma chanson préférée du tour. J’ai répondu Pure/Honey. “Casey, you better design a Bee”, m’a lancé l’équipe. C’était un défi. En partie car les insectes sont très liés à l’histoire de Manfred Thierry Mugler et au cœur de la collection Haute-Couture de 1997, et je ne voulais surtout pas copier, mais le faire à ma façon. Au début, j’imaginais la création en fibre de verre comme les pièces d’archives. Puis j’ai rencontré l’artisan spécialiste du cuir Robert Mercier, un homme hyper talentueux qui m’a montré comment le cuir serait plus léger et confortable pour elle. C’était un travail de longue haleine avec des essayages, des retouches… Il fallait que Beyoncé puisse danser tout en ayant une silhouette très “drama”, et Pure/Honey est la chanson faite pour bouger. Travailler sur ce tour, c’était comme entrer dans l’histoire pour moi !
Selon Vogue Business, il y a eu moins de diversité des corps dans les défilés que la saison précédente. Les mannequins plus-size ne représentent que 0.6 % des mannequins et le tokenisme est dénoncé. Qu’en penses-tu ?
C’est très triste, d’autant que cette dynamique n’est pas représentative de la société. Je trouve navrant de constater que la mode ne s’inscrit pas dans une démarche d’ouverture et de progrès. Pour moi et pour la maison Mugler, la question de l’inclusivité ne change pas : le désir de représenter tous les types de beauté ne disparaîtra pas. Ce n’est pas une tendance. Je choisis les personnes en fonction de leur charisme, de la magie qu’elles possèdent : des artistes et personnalités fortes qui inspirent le public à avoir confiance en elleux. Je leur donne une plateforme pour briller telles qu’iels sont. Je ne les transforme pas.
On a parlé de diversité et de corps “plus-size”, mais chez Mugler, l’inclusion de la communauté LGBTIQI+ est constante depuis 2017. En interview, tu as dit que pour toi c’était important d’habiller des personnes ayant des valeurs…
Oui, le courage ou encore la résilience sont des valeurs essentielles que je recherche dans les égéries que je choisis. La manière dont est traitée la question des différentes formes d’inclusivité dans la mode en ce moment me rend triste. Je trouve étrange que la presse ne donne pas vraiment du fil à retordre aux maisons et aux personnes responsables, c’est presque offensant. Les temps sont durs pour les petits créateurs et les maisons de taille moyenne, or ce sont eux qui tentent de le faire. Ce serait plutôt aux grandes maisons de faire bouger les choses, elles le peuvent : elles ont l’argent, le temps, des équipes géantes. Elles font tellement d’échantillons pour leurs défilés que ce serait très facile d’adapter, par exemple, les tailles.
Selon toi, que signifie “sexy » en 2024 et comment en parler de façon contemporaine ?
C’est un défi à de multiples niveaux. Chez Mugler, il y a tout un historique du sexy et je n’en avais jamais fait avant d’arriver dans la maison. J’ai toujours apprécié cela, mais j’étais plutôt dans la catégorie des créateurs de mode intellos. J’ai vraiment dû réfléchir et essayer de trouver ma manière d’être confortable avec l’idée de sexy, mais finalement il m’a suffi de comprendre que le sens avait changé dans la société. Je m’explique : la grande différence, c’est qu’aujourd’hui on le fait pour atteindre une puissance, se sentir fier, excité à propos de ce que l’on est. Ce n’est plus uniquement pour séduire un homme. Il y a eu un changement et être sexy, c’est avant tout briller : ce n’est plus être un bel objet. En ce moment, j’essaie de comprendre comment être sexy tout en étant couvert. Comment peut-on s’habiller de manière sensuelle de jour tout en restant convenable ? Car Mugler est une marque vers laquelle on se tourne pour la nuit.
“Nous entrons dans une forme de récession créative où les propositions les plus visibles sont celles qui consistent à s’habiller pour montrer son statut économique”
Il y a toujours eu beaucoup de références à la culture Ballroom chez Mugler, aujourd’hui sa place a changé, comment le perçois-tu?
La communauté ballroom est toujours entre ombre et lumière. Il y a eu le film Paris is Burning, Madonna à la fin des années 1980 et aujourd’hui Beyoncé et Drag Race. À présent, la communauté est plus forte, plus présente et j’espère que cela restera ainsi. C’est une culture époustouflante, qui expose les structures à travers l’exagération et dont une forme de férocité émane. Il y a une synergie avec les projets Mugler. Lors de mes six premiers mois chez Mugler, j’ai contacté des danseurs et des artistes Ballroom des House of Mugler de différents pays. Ce me semblait évident et normal : il y a des artistes dont le nom de famille est Mugler, appelons-les ! C’est ainsi qu’a commencé une très belle relation, et que certains membres ont rejoint la marque.
Quel est le plus gros tabou dans l’industrie de la mode aujourd’hui ?
J’ai le sentiment que la mode traverse une période étrange. Je trouve fascinante la différence qu’il existe entre s’habiller pour montrer sa fortune et se vêtir pour montrer sa créativité. Nous entrons dans une forme de récession créative où les propositions les plus visibles sont celles qui consistent à s’habiller pour montrer son statut économique. Il suffit de regarder les propositions créatives des maisons qui s’en sortent le mieux aujourd’hui : ce sont celles tournées vers cette esthétique de la richesse. Le manque d’expérimentation m’inquiète, et cette question de statut élide la question de l’identité personnelle.
Propos recueillis par Manon Renault
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