Des podiums à Tik-Tok, la série en costumes de Netflix se retrouve au cœur de la mouvance Regencycore, célébrant l’art de s’habiller comme les membres de la noblesse britannique du XIXe siècle. Une tendance conservatrice ou pleinement dans l’ère du temps ?
Longue robe en satin taille empire, manches ballonnées surmontées de trois bandes noires symbolisant la marque Adidas : chez Gucci, Alessandro Michele articule le vestiaire de la Régence anglaise avec l’uniforme sportif technique contemporain dans un anachronisme assumé. Chez Vivienne Westwood, les corsets surmontent des tenues portées avec des cuissardes sanglées de pirate, tandis que chez Acne Studios, de longues robes violettes sont accessoirisées avec des gants en jean des années 2000. Le point commun ? Des symboles aux temporalités hybrides mais inspirés notamment du style régence, alors que Netflix diffuse la seconde saison du soap en costumes La Chronique des Bridgerton.
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Basé sur la série de romans à l’eau de rose de Julia Quinn, le feuilleton fleur bleue rempli de silhouettes à manches bouffantes, tenues corsetées et perles et longs gants d’opéra désamorce les clichés et s’affiche progressiste, inclusive, reconstituant une cour imaginaire multiraciale. Et les spectateurs sont au rendez-vous : 82 millions de visionnages durant le mois de la sortie, un record selon Netflix qui a d’ores et déjà commandé une troisième et une quatrième saisons.
Un succès qui déteint sur la mode
Sur TikTok, le hashtag #regencycore dépasse les 20 millions de citations, et le site de seconde main anglais Depop enregistre le terme en tête de ses recherches tout comme le site Stylight, notant une augmentation de 35 % pour les ballerines suite à la diffusion d’un modèle à lacets aperçu dans la série. L’industrie de la mode succombe à cet univers jusqu’à l’iconique make-up artist Pat McGrath, qui lançait en mars une ligne de maquillage inspirée de l’univers romantique du show. “J’ai toujours été fascinée par la beauté de l’époque de la Régence et je suis très heureuse de la mettre à l’honneur avec une touche moderne”, commente-t-elle.
Après le succès mode de la série ado Euphoria, qui imposait en janvier dernier le retour des années 2000, c’est au tour de la romance cœur d’artichaut La Chronique des Bridgerton de marquer l’histoire contemporaine de la mode avec ses costumes historiques. Sillonné d’anachronismes esthétiques assumées par la costumière Sophie Canale, Bridgerton se présente comme une réécriture du passé – à l’image d’une société questionnant l’écriture de son histoire.
Le goût du passé
Au sens strict, la Régence est une période très courte de l’Histoire, s’étendant de 1811 à 1820, caractérisée par les excès de l’aristocratie anglaise et qui a inspiré les descriptions quasi sociologiques des romans de Jane Austen ou encore le satirique Vanity Fair de William Makepeace Thackeray, publié en 1848. L’un comme l’autre donneront lieu à des réécritures télévisuelles permettant de mettre en image l’époque.
Si la question de l’exactitude historique de costumes se pose, l’influence des films d’époque au milieu des années 2000 trouve un écho dans le luxe flamboyant et théâtral de la mode précédant la crise des subprimes de 2008, à l’instar des ensembles fantasques de John Galliano chez Dior en 2005.
Aujourd’hui, les robes rococo et les corsets sorbet du XVIIIe siècle se mélangent au vestiaire coupe empire de l’ère victorienne et au paysage pastoral chez les jeunes de Tik Tok – non pas dans une démarche de luxe ostentatoire, mais pour défendre le DIY et l’artisanat et critiquer le consumérisme moderne comme dans la mouvance cottagecore et l’esthétique “Lolita Amish”. Ceci se matérialise notamment dans la robe rose en tulle imprimé de fraises de Lirika Matoshi, dont le succès commercial est toutefois ironique pour une contre-culture.
Ce premier pas dans le passé fantasmé a ouvert la porte au succès post-confinement du Regencycore, avec une critique de la modernité doublée d’une réflexion sur les liens à l’apparence pendant le Covid-19. “La passion pour le costume historique va de pair avec un art de s’habiller et de se mettre en scène. Les vêtements imposent une posture présentant un corps symboliquement opposé à celui décrit pendant le confinement”, note Myriam Fouillet, doctorante en cinéma et audiovisuel à l’université Paris 3.
Un style régence inclusif et écoresponsable
Après des mois de socialisation à distance reposant sur des séries regardées par écrans interposés, le show de Netflix devient la métaphore sérielle du besoin de faire société en dehors de l’écran. Observatrice des groupes de danse historiques, Myriam Fouillet explique : “L’une des valeurs centrale est de faire communauté. Il existe un ensemble de cérémoniels lié au fait de se réunir : les gens se préparent ensemble, puis ils dansent en respectant des règles de consentement mutuel.”
Pour la chercheuse, il ne faut pas confondre nostalgie esthétique et conservatisme : “Les femmes qui pratiquent la danse historique sont bel et bien en accord avec les combats sociaux de l’époque, actives et d’horizons divers.” C’est aussi une manière de traduire un changement dans la manière de consommer le vêtement. “Alors que la mode nous pose en lutte contre le temps par la consommation d’un style toujours nouveau, la revalorisation de l’ancien et sa réutilisation semblent un anachronisme nécessaire pour ouvrir vers d’autre futurs”, écrit l’anthropologue Lucy Norris dans son essai Trade and Transformations of Secondhand Clothing. Une problématique particulièrement dans l’ère du temps.
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