Depuis 2017, la techno-symphonique du compositeur français accompagne les shows Balenciaga, racontant en creux différentes formes de violence sociale persistante. Dans le cadre de Balenciaga Music, il dévoile aujourd’hui un projet multicanal articulant playlist, jeu vidéo et produits dérivés.
Cheveux longs, yeux soulignés de noir et silhouette longiligne chaussée de souliers épais : plus qu’un look, BFRND est un personnage qui se décline aujourd’hui en pixels dans un jeu vidéo homonyme pensé dans le cadre du projet Balenciaga Music.
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Après Aya Nakamura, cette branche de Balenciaga valorisant l’écho culturel de la mode accueille le musicien. “Ce projet m’a permis de réaliser tout le travail mené, c’est comme une rétrospective”, confie-t-il. Entre jeu vidéo, playlist et collection de vêtements, le projet rend hommage aux fans, qui portent avec passion les T-shirts de leurs groupes favoris, et désacralise plusieurs mythes de la mode, comme le défilé, ici transformé en expérience ludique et interactive. Rencontre avec la tête pensante derrière l’identité musicale de la maison de luxe.
Quelle a été la place de la musique dans ta jeunesse ? Est-ce que c’était une forme d’échappatoire ?
BFRND – Mes parents ont toujours écouté de la musique à la maison : ils étaient très nostalgiques de leurs années cold wave – soit un bon point de départ ! J’ai commencé à sortir vers 2007, en plein âge d’or du gothique et de l’électronique, et j’écoutais beaucoup de métal. Je vivais dans le Sud, et j’ai découvert une salle de concert qui ne passait que des groupes hyper-intenses que j’adorais. J’ai fini par y passer tout mon temps et à y travailler bénévolement. J’ai trouvé ma famille là-bas : je pouvais m’habiller comme je le souhaitais, et je n’ai jamais eu à cacher ma sexualité. D’ailleurs, ça n’a jamais été une question. Ça m’a sauvé, quelque part, car cette région n’est pas la plus ouverte, et je ne m’y sentais pas bien – aujourd’hui, le vote majoritaire c’est Rassemblement national…
Comment perçois-tu ton rapport au style ?
Encore aujourd’hui, quand je marche dans la rue, tout le monde me regarde. Récemment, j’ai vécu un épisode étrange à Paris, avenue Montaigne : j’étais habillé de la manière la plus simple et banale pour moi, soit un T-shirt noir, un short noir en molleton et des Converse. Sur le chemin, je me suis fait insulter à quatre reprises de “sale pédé” ou “sale folle”. Je trouve très inquiétante l’expression ouverte et éhontée de l’homophobie. Personne ne dit rien ? Et ça, je ne l’accepte pas. Par contre, je me sens beaucoup plus libre à Los Angeles, par exemple : nous y étions en décembre dernier pour le défilé automne 2024, je marchais dans la rue avec du rouge à lèvres jusqu’au menton, et je recevais des compliments !
Comment es-tu passé de fan de métal à compositeur ? Qu’est-ce qui t’a décidé à te lancer dans une carrière artistique ?
Pendant très longtemps, je n’avais pas les moyens d’acheter du matériel. Tout a commencé sérieusement en 2016, quand j’ai rencontré Demna. C’est la première personne qui m’a encouragé à me projeter, à avoir des espoirs. J’y ai cru, j’ai bossé. J’ai dû beaucoup apprendre : le solfège, mais aussi à me sentir légitime. Le syndrome de l’imposteur… Always around the corner! J’ai encore du mal, parfois, à parler de musique en interview, alors que je compose pour les shows Balenciaga depuis six ans maintenant. J’ai commencé chez Vetements en 2015, alors que je n’avais jamais fait de musique pour un défilé : c’était hyper-intense, mais incroyable !
Quel a été le défilé le plus challengeant en matière de composition ?
Celui de mars dernier, pour la collection automne-hiver 2024-2025 : du set du défilé, entièrement composé d’écrans, aux vêtements de la collection, tout était déjà très fort, donc Demna ne voulait pas que je sois plus “doux”, pour ne pas diluer le message. Or, mon seuil de tolérance semble illimité par rapport à la majorité des gens. J’ai été éduqué à coups de musique violente : pour moi, ce que j’ai composé en mars est dansant et sexy ! Mais c’est ma perception et mes cadres de lecture : je perçois par exemple le métal comme un genre plein de nuances et de variations, équivalant à la musique classique. Le niveau de la performance et l’exigence technique sont les mêmes. Le stéréotype de la violence me semble assez décalé et amusant au final !
“Je compose comme pour un film ou du théâtre, tout est très narratif”
Comment se passent les échanges pour la composition des défilés ? Est-ce que vous avez un processus particulier avec Demna ?
On est mariés : j’ai la chance de le voir évoluer quotidiennement dans ses pensées. Je le suis durant les périodes où il fait ses recherches pour les collections, et on commence de façon approximative à définir des choses. Le style de musique, repérer des sons de guitare qu’on aime, par exemple. Pour moi, composer pour un défilé Balenciaga, c’est comme apprendre un rôle. Je dois assimiler l’histoire, me projeter, voir les mannequins, comment ils marchent. Cela fait évoluer ma musique. Comme tout est très organisé, j’ai constamment toutes les informations, et je peux ainsi composer comme pour un film ou du théâtre. Tout est très narratif, et c’est un exercice très stimulant.
Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?
Des jeunes entre 18-25 ans qui viennent en majorité d’Ukraine et font du hip-hop très sombre. Ils crient comme dans le métal. Je remarque qu’il y a aussi beaucoup de pointes gothiques et emo, et beaucoup de fusion de classique avec des beats de trap. Je sens quelque chose de neuf, ça transpire la jeunesse et l’envie de nouveau.
Est-ce que tu as l’impression, justement, qu’un espace pour la créativité se dessine ? Le climat social est pesant, tu as parlé d’homophobie par exemple…
Tout se resserre, et beaucoup de discours sont dangereux, parfois amplifiés par les réseaux sociaux. Cette situation générale fait que la créativité est encore plus précieuse. C’est comme de l’or. Après, ce n’est pas une bataille garantie ou facile, mais elle en vaut la peine et certains s’en sortent. Dans la musique, des événements tels que le Hellfest, qui rassemblent des milliers de personnes, me font dire que le subculturel, l’underground et toutes ces scènes créatives alternatives sont loin d’être mortes. C’est un appel d’air. Et c’est essentiel pour faire avancer les mentalités.
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