Le réalisateur dévoile une lettre d’amour filmique au monde de la nuit queer, et pour qui le monde nocturne est “un cri de guerre”.
Avec la réouverture des clubs et des bars se pose à nouveau la question de l’absence du monde de la nuit comme élément social, culturel, communautaire lors du confinement.
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Le réalisateur franco-vénézuelien dévoile un court métrage intitulé Le Manifeste de la nuit. En 4 volets (“drag”, “orgie”, “ballroom” et “danse”), il explore les différentes pratiques queer, modes d’habitation, d’exploration et d’expression d’un moment où l’humain se voit moins défini par son statut social et professionnel diurne.
“La fête et tous ses excès constituent un chaos indispensable à notre équilibre. Cela fait plus d’un an qu’on en est privé·e·s et je réalise maintenant à quel point elle représente un aspect constitutif de qui je suis”, dit le réalisateur. Les Inrockuptibles l’ont rencontré pour une discussion autour de la nightlife queer comme échappatoire, “cri de guerre”, et revendication et questionnement de soi et du monde qui nous entoure.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer ce film ?
La nuit a toujours fait partie de ma vie, et d’une certaine manière, j’ai toujours eu le pressentiment que cet aspect de mon identité avait plus de sens que le simple fait de se défoncer sur de la musique techno. Mais c’est au musée du Quai Branly, pendant l’exposition “Les Maîtres du désordre”, que les choses ont commencé à me paraître plus évidentes. On y présentait les fêtes et orgies d’avant (bacchanales en Rome antique, fête des fous au Moyen Âge, etc…) comme étant des forces stabilisatrices, cathartiques, qui, au travers du chaos, permettent à l’ordre de renaître.
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Depuis cette visite, j’ai toujours eu envie de parler de mes nuits à moi, mais avec un regard différent. La fête est souvent racontée d’un point de vue assez sensationnaliste, et moi, je voulais rentrer dans l’intime. Je voulais aller chercher les raisons souvent inconscientes qui nous poussent vers ce chaos. Je voulais comprendre et donner à comprendre pourquoi est-ce qu’on se sent aussi bien et en sécurité dans les clubs, les raves ou les warehouses. Mais je voulais le faire en donnant la parole à tous·tes ces pédé·e·s, gouines, trans, drogué·e·s qui peuvent faire peur, qui ont l’air sales, mais qui sont en fait magnifiques, touchant·e·s et qui cherchent juste une place dans ce monde qui leur fait désespérément défaut. D’ailleurs, j’ai écrit le texte de la voix off à partir d’entretiens que j’ai menés sur plusieurs mois avec différents acteurs de la nuit : fêtard·e·s, DJs, promoteur·trice·s, etc… car je voulais vraiment ancrer ce film dans leur (notre) réalité et pour que cette idée de donner la parole ne soit pas juste un concept.
En fin de compte, ce projet est une déclaration d’amour à la nuit et à tous·tes ceux·celles qui la font – je voulais les rendre sublimes, attachant·e·s, fragiles, pour que les autres les voient comme moi je les vois.
Comment est né votre intérêt pour la nuit et particulièrement la nuit queer ici explorée ?
Déjà, avec mes potes, quand on avait 14 ans, on sortait en cachette dans les boîtes de nuit “généralistes”. Mais je me souviendrai toujours du moment où je suis vraiment tombé amoureux de la fête. C’était au Rex Club. Il y avait James Holden derrière les platines. J’arrive dans cette boîte en sous-sol – c’était blindé, complètement enfumé, il faisait chaud – et j’entends cette musique que je n’avais jamais entendu avant. Je me dis : “C’est quoi ça ?!!?” Je vois le monde autour de moi, l’énergie qui se dégage. Cette espèce d’euphorie générale et ce sentiment de communion et de liberté – je ne saurais pas l’expliquer, mais j’ai eu l’impression que tout devenait possible. Je me suis senti chez moi comme jamais avant et j’ai tout de suite compris que j’allais y retourner tous les week-ends.
Comment vivez-vous la nuit depuis la fin du confinement ?
La première vraie soirée depuis la fin du confinement était dingue. J’étais assez euphorique. C’était un grand soulagement et un grand bonheur de retrouver toutes ces personnes que je ne croisais qu’en soirée… Il y a eu pas mal de gens à qui j’ai sauté dans les bras. Mais sinon, de façon générale, il y a quand même un sentiment qui est nouveau, c’est celui de se dire qu’on a de la chance de pouvoir vivre des moments comme ceux-là. Avant la crise du Covid, jamais je n’aurais pu imaginer qu’un jour je serais privé de mes nuits. Maintenant quand je vois les gens autour de moi danser, ça m’emplit de joie, et je ne peux pas m’empêcher de me dire que c’est quand même merveilleux et essentiel d’avoir ces espaces de liberté et de communauté dans notre vie.
Mais du coup, je me rends compte que c’est quelque chose qu’il faut protéger. Il faut se battre pour sauvegarder une certaine idée de la nuit : la nuit comme un espace de liberté, de communauté et de sécurité.
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À votre avis, quel impact a eu l’arrêt de la vie nocturne pendant le confinement sur la population, particulièrement les communautés queer ? Comment l’avez-vous vécu ?
La fête est un espace où l’on peut se laisser exister sans filtres. C’est un endroit où on célèbre la différence, la marginalité et l’extravagance. Toutes ces communautés queer, qui d’ordinaire se sentent déconnectées des valeurs majoritaires de nos sociétés, peuvent enfin ressentir qu’elles font partie de quelque chose. Du coup, quand on retire ça, cela crée de l’isolement, de la solitude et une certaine déconnexion. C’est tout simplement la perte d’un sentiment d’appartenance dont on a tous·tes besoin.
J’ai eu des périodes où je me suis senti très seul, les gens me manquaient, mais il s’agissait de personnes en particulier car mes amis, ma famille, j’ai pu les voir, et je vis avec mon copain. Il s’agit de tous·tes ces inconnu·e·s, ces personnes dont on ne connaît pas le nom avec qui on échange juste deux mots au fumoir ou un sourire au bar. C’est cette masse anonyme dont on est entouré et avec laquelle on fait corps le temps d’une soirée.
Que risque-t-on de laisser derrière soi ? Que doit-on réapprendre en termes de vie nocturne ?
Je pense qu’on risque d’y laisser quelques plumes et quelques points de vie… Non plus sérieusement, je ne pense pas qu’il faille vraiment réapprendre quelque chose, je pense que l’élan qui nous pousse à nous réunir et faire la fête est quelque chose qui nous vient assez naturellement. C’est un besoin vital, une pulsion de vie. En revanche, il faut bien faire attention à défendre une certaine idée de la nuit, il faut s’assurer qu’elle reste un espace de liberté et de sécurité. Car la nuit est politique, c’est un combat pour l’acceptation de tous·tes quelles que soient les identités de genre, les orientations sexuelles, les origines ethniques, sociales et géographiques, les morphologies ou encore les styles vestimentaires. Et ce travail-là, c’est évidemment celui des organisateur·trice·s et promoteur·trice·s de soirées, mais c’est aussi le travail de tous·tes ceux·celles qui font la fête.
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