Depuis le Covid-19, la plateforme de location propose les reconstitutions des décors les plus emblématiques de la pop culture contemporaine.
Au milieu de la forêt d’Ashdown, en Angleterre, un arbre doté d’une petite porte rouge se distingue. À l’intérieur, larges fauteuils douillets et pots de miel posés sur une table de bois accueillent les locataires d’une maisonnette aux lignes tirées du dessin animé Disney Winnie l’ourson.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour 105 dollars la nuit, il est possible de s’endormir dans l’univers enfantin pastel de la Forêt des rêves bleus. Mais l’ourson au pelage doré n’est pas le seul à ouvrir ses portes ; la maisonnette d’Hagrid, le demi-géant d’Harry Potter, ou le pavillon de Bella de la saga de vampires Twillight sont autant d’univers fantasy reconstitués par des particuliers, appelés hôtes sur Airbnb.
Si la pandémie secoue le tourisme, la start-up, fondée en 2008 par Brian Chesky, survit et devance l’hôtellerie. En mai 2021, Chesky détaillait au journal Le Monde une stratégie visant à recruter plus d’hôtes, les invitant à créer des logements “uniques” comme des habitats insolites aux lignes surréalistes ou inspirés de films, pour lesquels les demandes ont augmenté de 94 % en juin 2021 selon Airbnb.
Se balader dans le dressing de Carrie Bradshaw ou boire un cappuccino au bord du lac de Côme dans la Villa d’Aldo Gucci devient possible. Airbnb articule son agenda à celui des sorties cinéma, surfant sur la diffusion de And Just Like That…, la suite de la série emblématique des années 1990 Sex and the City, ou encore la fiction consacrée à la famille Gucci, House of Gucci. Pour Noël, c’est dans la maison de banlieue américaine du film culte Maman j’ai raté l’avion que des locataires pourront séjourner.
Une nouvelle définition du voyage post-pandémie se dessine. Il n’est plus question de faire des kilomètres pour se dépayser (réduisant ainsi son empreinte carbone) ni de découvrir des traditions locales, mais de se perdre dans un monde fictif à proximité, dont la seule frontière restait notre écran. Les voyages dans les décors de films et séries répondent à plusieurs vagues d’enfermement forcé en tête-à-tête avec Netflix. Un préambule des escapades dans les métavers avec casque virtuel ?
De la passion au métier
Vivre dans la peau d’une célébrité ou s’immerger le temps d’un week-end dans un paysage fantastique : ces pratiques ont pour longtemps été associées à des désirs irrationnels de fan. Avant limité à Disneyland ou au Puy du fou, ce business s’ouvre désormais à tous et génère une économie de plus de 300 millions de dollars selon Airbnb.
Fan de la saga Harry Potter, Manuella Shaupp est propriétaire de plusieurs gîtes à thème inspirés de l’univers fantastique de l’orphelin magicien. “Nous avons été surpris par le succès. Malgré la pandémie, les taux de remplissage ont été élevés. Nous ne recevons pas que des fans : petit et grand sont concernés”, raconte-t-elle.
Aujourd’hui, elle transforme sa passion en activité professionnelle principale. Scénographe décoratrice, elle réalise des gîtes inspirés de Game of Thrones, Avatar ou encore Jurassic Park pour des particuliers en Lorraine. “Mon travail consiste à soigner chaque détail pour que l’immersion soit la plus réaliste possible”, précise-t-elle. La construction d’univers utopiques est synonyme d’un retour au travail manuel, articulé à la promesse, pour le locataire, d’une immersion dans une réalité authentiquement fidèle à la fiction.
Découvrir les coulisses
À la fois uniques et universels, ces espaces inspirés de la pop culture offrent la possibilité de traverser les coulisses pour entrer dans la fiction. Tout en demeurant bel et bien matériels, ils correspondent aux hétérotopies décrites par le philosophe Michel Foucault, soit “des espaces autres qui hébergent l’imaginaire” tels que les chambres d’enfant, les théâtres ou les parcs d’attractions. Repris par d’autres penseurs, le concept prend une dimension politique dans les études queer, permettant de créer l’espace qui n’existe pas à l’intérieur de celui qui est normé.
Si les réinterprétations de décors spatiaux liés à l’enfance se multiplient, certain·e·s hôte·sses font référence à des dystopies critiques du monde contemporain, tel que la série sud-coréenne Squid Game dont les murs roses hautement instagrammables dissimulent les angoisses, crispations et violences de l’époque.
Entre business et rêve, ces nouveaux itinéraires de voyages, jouant sur la frontière entre réel et fiction, racontent un besoin d’espace à la fois utopique et familier. Voyage régressif capitaliste ou opportunité de développer les imaginaires et la créativité ?
Ce phénomène semble être un puzzle de ce que le sociologue Henry Jenkins décrit comme étant une nouvelle économie basée sur la participation de chacun·e et la créativité de tous·tes.
{"type":"Banniere-Basse"}