À rebours des monographies de couturiers, le Palais Galliera organise jusqu’au 16 juillet, l’exposition “1997 Fashion Big Bang” retraçant douze mois d’événements mode décisifs. Nominations, scandales, disparitions et renaissances : la mode se dessine entre art et pop culture, légèreté, sexe et angoisses.
Un string surmonté d’un logo à double G doré : plus dévergondé que pudique, le sous-vêtement apparaît pour la première fois sur le podium de la maison milanaise Gucci le 3 octobre 1996. 26 ans plus tard, la pièce provocante imaginée par le designer texan Tom Ford ouvre le parcours de l’exposition 1997 Fashion Big Bang.
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“À l’époque le string n’est pas relevé et retenu par la presse. À rebours, on peut pourtant le percevoir comme un élément constitutif de l’esthétique porno chic mise en place par Tom Ford, et le point de départ de la mode populaire string-jean taille basse, qu’adopteront les adolescentes des années 2000”, explique le commissaire scientifique de l’exposition Alexandre Samson soulignant les paradoxes entre récit vécu, perçu et retenu. Que reste-t-il de 1997 ? Qu’a-t-on fantasmé ?
Plus de 50 événements recensés
Trois ans de recherche ont été nécessaires à Alexandre Samson pour réunir, vérifier et confronter les différents indices corroborant sa thèse : l’année 1997 a été une onde de choc annonçant une nouvelle ère. En effet, la liste des événements mode en 1997 est longue : cinq nominations dans le groupe LVMH (qui fête ses dix ans), la disparition de Gianni Versace, la célébration de la scène avant-garde belge ou l’arrivée de Nicolas Ghesquière chez Balenciaga…
Au fil des échanges avec des journalistes et des collègues du Fashion Institute of Technology (FIT) de New York, des analyses des titres de presses, rassemblés dans une large base de données, Samson affine son propos, et recense plus de 50 événements dont 38 sont présentés sous la forme d’un parcours chronologique.
Des ensembles couture flamboyants, signés John Galliano ou Christian Lacroix, à la première interface en ligne du concept store Colette, en passant par les photographies pop de David LaChapelle : création, marketing et image de mode sont partie prenante de la réflexion et dessinent une ère pleine de paradoxes – encore présents aujourd’hui.
Entre peur et exubérance
Tout d’abord les paradoxes dans le rapport au corps. À côté de la sexualité débordante des silhouettes de Tom Ford, le·la visiteur·se découvre le corps déformé de Rei Kawakubo chez Comme des Garçons, le corps conceptualisé de Martin Margiela, androgyne d’Ann Demeulemeester et passéiste de Yohji Yamamoto. “Le corps, et sa place dans la société questionnent. L’époque est rythmée par les débats sur la chirurgie esthétique, l’obsession pour la figure du cyborg, et les controverses sur les premiers essais de clonage”, note Alexandre Samson.
En France, Jacques Chirac fera passer une loi contre le clonage en avril 1997 tandis qu’outre-Atlantique, ce sont les images de corps androgynes et amaigris des magazines de mode underground qui alertent le président Bill Clinton. Suite à l’overdose du photographe de mode Davide Sorrenti alors âgé de 20 ans, il dénoncera, dans un speech filmé, la glamourisation de la prise d’héroïne dont la mode est tenue responsable.
Pourtant, le milieu ne plonge pas dans le minimalisme. Loin d’être modeste, le retour de la couture se fait attendre comme le montre la deuxième section de l’exposition. John Galliano rejoint la maison Christian Dior, et Alexander McQueen, Givenchy, Thierry Mugler et Jean Paul Gaultier font leur entrée dans la haute couture en solo porté par l’engouement populaire autour des nouvelles nominations.
Les femmes mi-humaines mi-déesses traversent les collections d’Alexander McQueen ou de Thierry Mugler qui s’inspirent du film Microcosmos (1996) de Claude Nuridsany et Marie Pérennou. De son côté, Jean Paul Gaultier dessine des femmes au plumage multicolore proposant des corps hybrides et surréalistes – comme des échappatoires.
L’art ou la pop culture ? Les deux !
En revanche, il est difficile d’échapper à son corps quand on est une star. Ces dernières sont de plus en plus présentes sur la scène de la mode. La rencontre peut sembler étonnante dans le cas du créateur de l’avant-garde de la mode belge Walter Van Beirendonck qui habille le chanteur Bono en tournée avec U2. Mais elle est également pleine de sens pour la mode expérimentale d’Alexander McQueen qui habille la tout aussi expérimentale Björk pour la couverture de son album Homogenic.
L’ombre de Madonna rôde dans l’exposition, entre muse et outil marketing : elle portera une robe Olivier Theyskens en pleine promotion de Frozen, puis une tenue monacale Balenciaga par Nicolas Ghesquière à ses débuts. Son nom est également au cœur de la stratégie de Fendi, qui hisse le Baguette en it-bag grâce aux images tabloïds dévoilant Madonna en pleine séance shopping dans une boutique de la marque.
L’amour de la culture mainstream est encore décrié, associé au vulgaire. En signant les costumes du film Le Cinquième Élément de Luc Besson, Jean Paul Gaultier s’expose aux critiques de la presse mode parfois conservatrice. “Pourtant le film vaudra à Gaultier une nomination aux César”, souligne Alexandre Samson. De son côté, Rei Kawakubo inscrit sa collection Body Meets Dress, Dress Meets Body au rang d’art en signant les costumes du ballet Scenario de Merce Cunningham. Le chorégraphe américain a auparavant collaboré avec Marcel Duchamp et Andy Warhol.
Les supports et les sources sont pluriels – comme les archives télévisées qui permettent aux visiteurs de percevoir ce nouveau visage de la mode qui accompagne les évolutions culturelles et médiatiques, et qui devient un phénomène grand public en soi.
“Il est intéressant de constater que des événements comme le retour de la haute couture ou la mort de Gianni Versace ont provoqué de larges discussions et réactions débordant le champ de la mode. Par exemple, l’attention autour de la mort de Versace est emblématique d’un moment où les créateurs sont devenus de véritables icônes populaires”, note Alexandre Samson.
La mode n’est pas un monde isolé. Populaire, elle est progressivement prise au sérieux. En 1997, l’historienne Valerie Steele lance le journal universitaire transdisciplinaire Fashion Theory comme le note la directrice du Palais Galliera Miren Arzalluz.
26 ans après, l’audace de l’exposition est de refuser d’échapper à la complexité de la mode et d’en montrer la pluralité. À l’heure où les marques de luxe orchestrent leur propre exposition, l’exposition 1997 Fashion Big Bang est essentielle, et permet au Palais Galliera de rappeler la centralité des institutions publiques pour penser la culture.
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