Richement illustré et reposant sur de nombreux entretiens, l’ouvrage de Marine Macq met en lumière une profession essentielle dans la création vidéoludique : les “concept artists”.
Dans les analyses savantes du jeu vidéo, deux approches se sont longtemps opposées : la narratologie, qui les aborde comme des machines à produire des récits, et la ludologie, pour laquelle les dispositifs de jeu prévalent.
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C’est une troisième porte, celle de l’esthétique, qu’emprunte Marine Macq dans Imaginaires du jeu vidéo, (très) beau livre en forme d’enquête (avec accumulation d’indices, de témoignages…) sur un métier essentiel mais encore méconnu : celui de concept artist.
“Fonctionnalité du style”
Les concept artists, en charge des environnements d’un jeu ou de ses personnages, ne sont pas exactement des illustrateur·rices, ou en tout cas pas comme on l’entend généralement. Car leurs travaux n’ont pas vocation à être diffusés hors du studio, mais à s’intégrer dans son processus de production, en faisant le lien entre les idées de départ, auxquelles il s’agit de donner forme, et le travail des designers. “Faire beau et signifiant ne suffit pas, souligne l’autrice qui est aussi vidéaste et commissaire d’exposition. Le concept artist doit également s’assurer de la fonctionnalité du style, c’est-à-dire de son adaptation aux mécaniques de jeu proposées.”
Après un retour sur les origines du concept art et ses grands ancêtres au cinéma, chez Disney puis dans la science-fiction des années 1970-1980, suivi d’une étude du cas Child of Light, le cœur de l’ouvrage est une série d’entretiens avec les concept artists et/ou responsables de dix studios indépendants français : Dontnod (Life is Strange), Asobo (A Plague Tale), The Game Bakers (Furi, Haven), Nova-box, Motion Twin (Dead Cells)… La lecture se révèle aussi éclairante sur les réalités multiples du métier que sur les conditions elles aussi diverses dans lesquelles se font les jeux.
Choses vues
Ce qui rapproche néanmoins le travail sur, par exemple, Streets of Rage 4, GreedFall, 11-11: Memories Retold ou le très attendu Dordogne, c’est la multiplication des sources d’inspiration. Qu’il ou elle vienne de la BD ou du cinéma d’animation, largement autodidacte ou sorti·e d’une école, un·e concept artist apparaît d’abord comme quelqu’un qui sait regarder et établir des liens entre les choses vues : lors d’un voyage, au musée, dans les livres ou même sur le site de Home Depot pour Life is Strange 2.
D’un projet à l’autre, la fonction des concept arts varie : de documents préparatoires, ils deviennent parfois des matériaux utilisés directement, en particulier pour les productions à budget réduit (Dead Cells, Unruly Heros). Parfois, en plus de mettre des mots en images, ils nourrissent en retour l’écriture.
À ses interlocuteurs, Marine Macq glisse souvent une question sur leur devenir. “Existe-t-il une politique de conservation au sein de votre studio ?” Parfois oui, parfois non, mais de plus en plus, ce qui est une excellente nouvelle pour ce que les concept arts disent de la manière dont des jeux sont devenus ce qu’ils sont mais aussi, incidemment, de comment ils auraient pu être différents. Et simplement, dans les pages de cet ouvrage qui les expose hors du contexte dans lequel ils ont été créés, pour leur beauté.
Imaginaires du jeu vidéo – Les concept artists français de Marine Macq (Third Editions/Éditions Cercle d’Art), 384 p., 44,90 €.
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