Dans un album intense et enregistré dans les conditions live, Zombie Zombie laisse libre court à l’impro et aux digressions sonores. Rencontre en studio.
Dans le livret qui accompagne le deuxième volume de la compilation Cosmic Machine, Etienne Jaumet (l’un des trois morts-vivants) parle des pionniers de l’électronique française en ces termes : “Ils se sont débrouillés pour rester libres et continuer à faire leur musique en créant, avec une énergie folle, leurs propres labels. N’oublions pas qu’à l’époque, ils partaient de rien.” Dix ans après la sortie de leur premier album A Land for Renegades et de l’inoubliable reprise du Nightclubbing de l’Idiot d’Iggy Pop, Jaumet, Cosmic Neman et Dr Schonberg poursuivent leur exploration sonique, aux confins d’une jungle interstellaire que l’introduction de Livity, leur dernier album, nous promet tribale, moite et, au premier abord, inhospitalière.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans leur microrepaire du XIe arrondissement de Paris, le vieux skate-board de Neman, posé contre une étagère, empêche la porte du studio de s’ouvrir complètement. Sur tout un pan de mur s’étale une partie infime (à vue d’œil, plusieurs centaines) de la collection de vinyles de I:Cube, le célèbre producteur et DJ de la maison Versatile, non loin de tout son attirail de mixage sur lequel fut finalisé Livity. C’est là que nous retrouvons Zombie Zombie pour une séance de répétitions, à quelques jours d’un concert à la Marbrerie de Montreuil, dans le cadre de la deuxième édition du RBMA Festival : “Je pense que les gens ont suffisamment entendu les anciens morceaux, nous confie Neman, sa mythique casquette Slayer vissée sur la tête. On ne jouera que des titres du nouvel album.”
Quand l’expérimentation prend le pas sur l’écriture
Planqué derrière toute sa machinerie analogique constituée de claviers et de boîtes à rythmes vintage, Etienne Jaumet termine ses réglages manuellement les yeux rivés sur des fiches techniques plastifiées, tandis que Dr Schonberg tripote un dictaphone et que Neman cogne sur son Synare 3, sorte de synthétiseur de percussions aux sonorités space disco, en forme de soucoupe volante. Si la scène était tirée d’un documentaire, la mention “Aucun preset n’a été utilisé lors de cette répétition” clignoterait à l’écran.
Chez Zombie Zombie, tout est live, direct, analogique. C’est d’ailleurs ce rapport humain aux machines, propre à l’ère proto-Terminator, qui confère à leur musique cette intensité et cette chaleur. Un truc de l’ordre du sens inné du rythme, caractéristique du free-jazz et de la transe chamanique qui rend unique et inestimable chaque concert et chaque prestation du groupe, que ce soit en studio ou sur scène. Comme quand, en plein milieu d’une montée frénétique un peu bancale sur le titre Looose, Etienne s’arrête parce qu’il sent son pote Neman à mille années-lumière : “J’ai même pas besoin de te regarder cette fois, je sens que tu veux t’arrêter. Quelque chose ne fonctionne pas, mais je ne sais pas quoi”, lâche-t-il. “Ouais, c’est trop long, répond Neman. Je pense qu’il ne faut pas trop tarder avant d’envoyer le sax.”
Quiconque a déjà vu Zombie Zombie sur scène aura remarqué l’importance des échanges de regards qui convergent très souvent vers Neman. C’est simplement que les parties free constituent l’ADN du groupe et qu’un titre n’a pas de durée définie tant que l’intensité rythmique de la batterie ne faiblit pas. Ce rapport à l’improvisation et aux digressions sonores est plus que jamais présent sur Livity, un album (probablement leur meilleur) enregistré live dans les studios Red Bull et sur lequel l’expérimentation prend le pas sur l’écriture. A l’image de Lune noire, un bonus track évoquant la grande époque de l’avant-garde électronique, où se mêlent notes de saxophone fuyantes et effets sonores synthétiques barrés, donnant ainsi à entendre le véritable son de l’espace intersidéral. Une éthique krautrock qui renvoie à cette phrase de Michael Karoli, guitariste de Can, citée par le critique Simon Reynolds : “Nous ne voulions pas impressionner les gens, seulement les apaiser.”
Une force d’évocation d’autant plus forte que les Zombie Zombie, fidèles à leurs références de science-fiction vintage (on se souvient de leur album de reprises des grands thèmes de John Carpenter), sont allés chercher Philippe Druillet, fondateur du mensuel Métal Hurlant, pour dessiner l’artwork de la pochette du disque. Une façon de rappeler que le futur n’est pas (encore) mort.
En concert : le 25 octobre au Grand Mix (Tourcoing) et le 24 novembre au Tamanoir (Genevilliers).
{"type":"Banniere-Basse"}