Avec son éternel costume et sa coupe peroxydée, Zaho de Sagazan s’est fabriqué un personnage façon Bowie qu’on n’oublie pas. À 23 ans, elle remplit déjà des Zénith en chantant les tourments de la vie. On l’a rencontrée à Paris entre deux dates de tournée.
Elle s’est levée à 4 heures du matin, a pris le train de Nantes pour Paris afin de rejoindre ce shooting. Ensuite, elle enchaînera avec une radio, puis retour à Nantes pour grimper dans son tourbus et filer en Suisse. Sa tournée donne le tournis. Tout est complet, ou presque, et Zaho de Sagazan, 23 ans, fera deux Zénith, à Paris et à Nantes, début 2024. Ça va vite, très vite.
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À peine le temps de rentrer dans son premier album, La Symphonie des éclairs, qu’elle a sorti sur son propre label, que Zaho est déjà loin et haut. Le week-end précédant notre rencontre, à Rock en Seine, elle sautait dans la foule devant les Strokes, qu’elle s’empresse de défendre à la table du déjeuner, surprise du déferlement de haine post-concert. Zaho aime le live. C’est presque pour lui qu’elle compose de la musique. Et, l’ayant vue sur scène au festival Art Rock, Zaho a la puissance indéniable.
De Saint-Nazaire aux Transmusicales de Rennes
Adolescente à Nantes, celle qui est née à Saint-Nazaire chante et joue du piano. Elle a besoin de crier, dit-elle. Mais le cri mute rapidement en mots. La voici accro aux récits qui déroulent des histoires, dans la tradition de Jacques Brel, Gainsbourg et Barbara, qu’elle cite abondamment.
Après le lycée, elle boucle deux ans de GEA (Gestion des entreprises et des administrations), puis devient auxiliaire de vie pour gagner un peu d’argent et pouvoir avancer sur son projet artistique. Le déclic vient de la rencontre avec Pierre Cheguillaume et Alexis Delong, du groupe Inüit. Le trio s’enferme en studio durant trois ans. Puis déboule Joran Le Corre, programmateur du festival Panoramas et tourneur chez Wart.
Le live peut commencer, bien avant que l’album ne soit terminé. “Ma première date, c’était avec Mansfield.TYA. On a tourné directement de façon très intense. Comment on gère ? Il faut être sa propre professeure. Les bêtises, je les ai faites au début de la tournée. Maintenant, plus possible. C’est une hygiène de vie à trouver, un rythme athlétique. Ça m’a pris du temps à comprendre, moi qui suis plutôt… bonne vivante !”, raconte-t-elle dans un éclat de rire.
En 2022, elle se voit confier la prestigieuse création des Transmusicales, à l’Aire Libre, après Stromae, Fishbach, Jeanne Added… Zaho ne court pas après le succès, mais cherche, tout de même, à parler au plus grand nombre. “Pas pour la reconnaissance, mais pour faire du bien, c’est un pouvoir dingue. Je veux être solaire.” Pourtant, son album suinte la tristesse (du nom d’un de ses morceaux), les affres, les tourments… “Ah oui, c’est certain, je suis très sensible”, résume-t-elle.
Le doute, un moteur
Trouver la confiance sur scène lui a pris un certain temps. “Le principe est bizarroïde tout de même de débouler devant 30 000 personnes en festival. Mais sur scène, j’ai compris que je ne pouvais pas m’excuser d’être là. Les gens sont là pour voir quelqu’un qui y croit. Il ne faut pas se la péter, mais avoir une certaine confiance. C’est une forme de personnage que j’ai dû développer… et qui devient moi au fil du temps.”
Avant d’entrer dans l’arène, Zaho se regarde longuement dans la glace, grimace, fait des mimiques, joue avec elle-même. Et cherche à dompter ce corps qu’elle a longtemps détesté. “Je ne me sentais jamais assez féminine, avec mon gros ventre, mes yeux qui tombent, j’avais des poils partout, jusque sur le nombril.”
“Quand j’étais plus jeune, j’ai eu besoin d’un David Bowie, qui cassait les codes du genre et me prouvait que je pouvais être une autre femme”
Le salut viendra, en partie, d’un tour chez Emmaüs. Zaho y déniche un premier costard à 8 euros. “C’était un soulagement. Je n’avais aucune confiance en moi. Je ne me retrouvais pas dans les codes féminins. Le costard me donnait un certain caractère androgyne.”
Depuis, elle s’en est fait une panoplie, rappelant, avec ses cheveux peroxydés, un certain Bowie période new wave. “Quand j’étais plus jeune, j’ai effectivement eu besoin d’un David Bowie, qui cassait les codes du genre. Il me prouvait que je pouvais être une autre femme, alors que lui-même n’en était pas une… Il y a plein de façons d’être une femme, et je vais le montrer aux petites filles. J’ai haï mon corps pour cinq kilos en trop. Avec du recul, je me dis : ‘Mais quel temps perdu !’”
Sa mère, institutrice, et son père, peintre-sculpteur-performeur, l’ont encouragée. Comme ses quatre sœurs, dont une jumelle, Kaita, scénographe, à laquelle elle montre tout, fait tout écouter. Car Zaho doute, souvent.
Crier la peur et la mélancolie
“Une journée où je me réveille à 4 heures pour enchaîner sur un shooting, une radio, etc., ça va, je ne doute pas, j’avance. Mais une journée en studio, sur le canapé à fumer des clopes, ça me fatigue car je doute. C’est difficile d’avoir un avis et d’être sûre de cet avis. Je sais pourquoi je suis là, mais je doute toujours de la qualité de ce que je fais. J’ai cru que j’allais devenir timbrée avec l’album.
Pendant cinq mois, je ne dormais plus, je ne mangeais plus. Je passais mon temps à l’écouter en me disant que c’était du génie ou que c’était de la merde. Ça a été épuisant. Puis un jour, je suis allée marcher pendant quatre heures en écoutant Pink Floyd, et la vie a repris.”
“J’avais tout pour être heureuse, mais j’étais très torturée”
Zaho veut crier, mais fort, qu’on l’entende. Elle regarde et écoute attentivement ses contemporain·es, raconte une passion féroce pour Koudlam, un intérêt prononcé pour Katerine et Brigitte Fontaine, évoque une enfance passée devant des comédies musicales type Les Choristes et Roméo et Juliette.
“J’avais tout pour être heureuse, mais j’étais très torturée. C’est de là que vient ma musique”, résume celle qui s’est entichée de philosophie, et trouve actuellement chez Montaigne des clés pour accepter l’existence. Rarement aura-t-on vu personnalité aussi à l’aise devant l’objectif d’un·e photographe, consciente de son regard frondeur, de son charisme singulier. Si montagne il y a, Zaho est déjà à son sommet, en costard, criant la peur et la mélancolie avec la chaleur d’un soleil.
La Symphonie des éclairs (Disparate/Virgin Records/Universal). En tournée française jusqu’en avril.
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