Fin août, Young Thug a foulé le sol français pour la première fois à l’occasion du festival Rock en Seine. On y était et on en a profité pour rencontrer le jeune voyou et récolter sa toute première interview en France.
Young Thug est probablement la meilleure chose qui soit arrivée au rap de la décennie. Fantasque, foncedé, original, talentueux et stylé, il a posé son verre de syrup à Paris le temps d’un concert – parfaitement moyen – au festival Rock en Seine. Alors qu’il s’était fait arrêter quelques semaines plus tôt suite à des menaces proférées à l’encontre d’un agent de sécurité, et que son nom est cité dans le cadre de l’enquête sur la fusillade du bus de tournée de son meilleur ennemi, Lil’ Wayne, le lascar d’Atlanta a collé quelques sueurs aux programmateurs du festival français. Mais il est finalement arrivé à l’heure pour son concert. Et il a bien voulu répondre à nos questions juste avant de monter sur scène.
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C’est la première fois que tu viens en France ? Quelle image avais-tu de ce pays avant de débarquer ?
Young Thug – La même image que celle que j’ai de tous les pays où je suis censé passer : c’est loin, c’est différent, ça va être forcément compliqué… C’est une autre partie du monde pour moi qui vient des Etats-Unis. Donc je sais, à chaque fois que j’arrive quelque part, que ça va être étrange. Mais si j’ai bien compris, j’ai aussi des fans ici et ça me rassure. Je suis au milieu d’une tournée, ce n’est pas comme si j’étais en vacances. Je suis déjà venu en Europe, c’était à Londres et c’était cool mais je ne connais pas du tout la France.
Je vois que ton amie porte des Louboutin, peut-être connait-elle mieux la France que toi ?
La copine de Young Thug (perchée sur des talons de 12 cm hérissés de pointes dorées) : Ah oui c’est sûr ! Ces chaussures sont françaises, elles sont faites à Paris. Je ne les ai pas achetées ici mais c’est la première fois qu’elles reviennent dans leur pays d’origine !
Avez-vous eu le temps de découvrir la cuisine française ou le vin ?
Young Thug – Non, et à vrai dire je ne connais rien de tout cela. En ce moment, je ne fais qu’enchaîner les concerts, ville après ville. Je joue, je dors et je me casse. Ce n’est pas l’idéal.
Pourquoi enchaînes-tu les mixtapes depuis des années sans jamais avoir sorti quelque chose que tu considères comme un album ?
C’est l’industrie qui veut ça, l’industrie du rap. Tu dois être sur le pont tout le temps, mais tu n’as pas le temps de faire d’album. C’est une énergie, il faut être présent au quotidien. Continuer à leur en mettre plein la gueule, tu vois ? Tu ne dois pas te soucier des leaks ni des morceaux qu’on te vole sur ton ordinateur. Tu dois juste faire des chansons, tu dois faire de la musique, continuer à sortir des trucs. Tu ne connais peut-être pas le rap, mais c’est comme ça que ça fonctionne.
Mais ce premier album, Hy!£UN35, dont tu parles depuis des mois, en quoi sera-t-il différent de tes mixtapes ?
J’espère d’abord qu’il sortira cette année. C’est un truc assez dingue dans lequel j’ai essayé de faire des chansons, des vrais titres et non pas des trucs vite fait comme sur une tape. Une dose de Kendrick Lamar, une dose de J. Cole, ce genre de choses, car il faut que ce soit un album et aussi un truc qui passe en club. Comme ta prochaine question portera sur les producteurs, je vais te le dire : je suis toujours avec London On Da Track, Wheezy, 808 Mafia, Mike Will Made It, Ricky Racks…
Quand j’ai entendu Barter 6 il y a quelques mois, je me suis dit qu’on tenait enfin le premier album de Young Thug. Mais tu as rapidement dit dans une interview que ce disque n’était qu’une mixtape…
Une mixtape c’est pour la rue, c’est un truc que tu fais comme ça, sans forcément y penser, parce qu’il faut rester dans le game. C’est comme écrire un mail pour dire « hello » à tes amis. Un album est un projet avec lequel tu dois frapper fort. Les mixtapes, c’est pour tout le monde et tu les jettes à la poubelle rapidement. Alors qu’un album est un objet que seuls tes vrais fans prendront la peine d’aller acheter, et sais que tu leur a préparé quelque chose de spécial. Je sais que tout le monde m’écoute, mais seuls mes vrais fans vont aller acheter mon album.
Tu bosses avec tellement de monde qu’on a parfois du mal à situer ta carrière. Peux-tu clarifier ta situation contractuelle ?
Je suis signé sur Atlantic via 300 Entertainment [le label de Lyor Cohen, NDLR]. C’est mon seul lien contractuel. Gucci Mane est mon frangin, Birdman aussi, on bosse tous ensemble mais c’est une forme de fraternité. On est amis mais il n’y a pas besoin de contrat. En un sens, je suis signé sur leurs labels, mais il n’y a pas d’avocat, pas de contrat, même si je sors tout le temps des trucs avec eux. Je passe plus de temps avec Gucci ou avec Birdman que chez 300, mais tout ça n’est qu’une famille. On s’en fout des contrats.
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Qu’en est-il de ta collaboration avec Kanye West ?
Quand ma chanson Danny Glover a leaké, j’étais un peu dégouté, mais ça a finalement permis à Kanye West de l’écouter. L’une de mes plus grandes surprises a été sa réaction : il a beaucoup aimé et il a dit qu’il voulait qu’on fasse un disque ensemble. Ca vient de lui, finalement, c’est lui qui en a parlé, puis on s’est rencontrés et on a enregistré quelques chansons. Après, tu sais ce que c’est : on bosse tous comme des fous. Je fais mes trucs, mes « mixtapes », comme tu dis. On a juste besoin de temps pour arriver à se capter. Après, je ne sais pas ce qu’il en pense, lui, mais pour moi, il est temps de sortir des choses ensemble.
Qu’est-ce que tu aimes chez Kanye West ?
Sa confiance en lui, mais aussi son agressivité, son ambition et son charisme. Je me sens proche de lui. On est amis, ce n’est pas juste des relations de travail. On est clairement amis.
Il dit avoir été surpris par la rapidité avec laquelle tu bosses. Toi-même tu dis que t’écris des morceaux en cinq minutes. Quel est ton processus de travail ?
Déjà, je n’écris jamais. Jamais ! Je ne me souviens même plus si je sais écrire en vrai… C’est du freestyle en général. Je mets un beat, je raconte des trucs, je retiens des idées, je les refais, avec telle ou telle intonation, je teste, et surtout j’enregistre direct. Je ne réécoute pas toujours mais si un truc me marque, je l’exploite. Je le répète jusqu’à ce que ça fonctionne. C’est important d’enregistrer, car sinon tu perds des idées. C’est pour ça que je ne reste jamais loin du studio, j’ai toujours un truc à poser. Je suis toujours à portée d’un micro. J’ai même un studio chez moi.
Où vis-tu aujourd’hui ?
En Géorgie, à Atlanta, nigaud !
Je m’en doute. Mais tu es toujours dans ce quartier où tu as grandi ?
Non, surtout pas ! Aujourd’hui j’habite en banlieue, dans un quartier pas trop mal. Mais je ne peux pas te dire où exactement…
https://www.youtube.com/watch?v=1kbeLMHggyE
Quels souvenirs as-tu gardé de ton enfance dans le quartier de Sylvian Hills ?
C’était stressant. Ca a toujours été compliqué, honnêtement. Il pleuvait, je m’en souviens. Je n’ai pas vraiment envie de t’en parler, en fait. Ca m’ennuie que tu me demandes de raconter ça…
C’est là-bas que tu as découvert le rap ?
Bien sûr. Pendant longtemps j’ai entendu du rap sans y faire attention, mais c’est tout de même un mode de vie, même quand tu es gamin. Je n’ai jamais pris ça au sérieux, j’ai toujours su que je pouvais rapper et en un sens j’ai toujours rappé. Et je me suis toujours comporté comme un rappeur. Mais j’ai commencé à prendre ça au sérieux quand j’ai enregistré avec les gens de Brick, quand j’ai commencé à toucher un peu de fric.
Qui a été important pour toi à ce niveau-là ?
Tous ceux qui sont sortis de mon quartier avant moi. Au-delà de ceux que tu vois à la télé, les gens les plus importants sont ceux qui sont proches de toi parce qu’ils partagent la même réalité. Et quand tu les vois avoir un succès, même modeste, tu te dis : « Wow ! » Et tout devient possible. Il ne faut jamais se dénigrer, se dire qu’on n’y arrivera pas.
En France, beaucoup de gens essaient de copier le rap américain, qu’il s’agisse des rythmiques trap ou de l’utilisation de l’auto-tune. Mais à de rares exceptions, c’est balourd. Peux-tu nous donner quelques conseils ?
La meilleure façon d’utiliser l’auto-tune, c’est de ne pas en mettre ! Et c’est ce que je fais : je n’utilise pas d’auto-tune !
Un petit peu quand même…
Je sais que j’ai cette image mais en réalité, si tu prends tous mes disques, j’ai du l’utiliser sur cinq ou six titres, pas plus. Et c’est là que les mecs qui me copient se plantent : je n’utilise pas d’auto-tune, je chante. C’est ça mon conseil ! Après, concernant le logiciel lui-même, il faut demander ça à mon ingénieur du son, parce que c’est surtout lui qui s’en sert. On ne l’utilise pas en production, je ne chante jamais avec. Mais de toutes façons je ne suis pas calé en production, en logiciels. J’ai les connaissances de base pour enregistrer seul, mais ça s’arrête là.
Tu enregistres beaucoup ?
Oui, peut-être 20 ou 30 titres par semaines, 4 à 5 par jour. Mais tout ne sort pas sur mes mixtapes. Je dois avoir en stock 3000 chansons que tu n’as jamais entendues.
On est à Paris, donc je voulais aussi te parler de mode. Tu tranches parmi les rappeurs, en termes d’esthétique, de silhouette. Où est-ce que tu t’habilles ?
Je n’essaie pas de me fringuer, je me mets juste n’importe quoi sur le dos. Je prends ce que j’ai sous la main.
Quelque chose me dit que c’est plus étudié que ça…
Non. Je suis né avec ça, je n’y fais pas vraiment attention. Je ne regarde pas ce qui se fait dans la mode. Mais finalement, c’est aussi un style…
Tu te souviens de tous ces baggies qui dégueulaient sur les pompes dans les années 2000 ? Le genre de silhouette « skinny » que tu partages avec Asap Rocky ou Future, est quelque chose de récent chez les rappeurs…
C’est possible. Mais je me souviens qu’à l’époque, je n’avais pas le style à la mode. J’avais des baggies, mais ce n’était pas vraiment des baggies. Ils étaient toujours un peu plus fit que ceux de mes potes, pas assez larges pour être dans le coup. J’ai toujours aimé les trucs un peu skinny.
Ta styliste, Joanna Zarur, a expliqué à Pitchfork que tu achetais parfois des vêtements d’enfants pour les détourner…
Quoi ? J’essaie de comprendre de qui tu parles mais je n’ai jamais eu de styliste. Tu dois confondre avec Kanye West ! Je vois qui est cette Jojo mais elle n’a jamais été ma styliste. Elle a été embauchée sur un tournage de clip, elle avait ramené des fringues mais ça ne me convenait pas. Je m’habille comme je veux, mais c’est vrai qu’il m’est déjà arrivé d’acheter des fringues trop petites. Je ne me souviens pas si c’était vraiment des vêtements d’enfants, mais tu peux quand même jouer avec ton style. C’est marrant de choisir des fringues qui ne sont pas « hip-hop » par exemple.
Justement, en dehors du hip-hop, tu écoutes quoi ?
Grave ! En ce moment, j’écoute Fun. Je crois qu’ils sont américains. Leur chanson s’appelle Some Nights. (Il chante les paroles avec un flow un peu screwed) : « Some nights I wish that my lips could build a castle ». Check ça sur YouTube, c’est hallucinant. Le chant est incroyable [Il sort son téléphone et nous fait écouter la chanson, tandis que sa compagne se met à danser sur le fauteuil – NDLR].
Depuis le début de notre conversation, j’observe tes dents en or mais je n’arrive pas à lire ce qui est écrit dessus…
T’as cherché à lire sur mes dents ? Sérieux ? T’as lu quoi ?
Je n’y arrive pas, justement…
« Thugger ». C’est mon nom, c’est comme ça qu’on m’appelle. Et sinon, il est écrit que tout le monde doit être prêt pour la sortie de mes mixtapes : Slime Season, volumes 1 et 2, puis mon album Hy!£UN35, puis le troisième volume de Slime Season aussi Je vous tiendrai au courant de tout ça. de toutes façons. Suivez-moi, soyez prêts !
Quel est ton but dans la vie ? Où te vois-tu dans dix ans ?
Dans dix ans, je voudrais que tout le monde fasse ce que je suis en train de faire. Ce serait ça le vrai accomplissement. Et je veux faire de l’argent aussi, c’est logique. L’argent, c’est le résultat de ta grandeur. Et grâce à ça les gens suivent ce que tu fais. Tu es un enseignant, et les gens paient pour ce que tu leur enseignes.
Il y a des billets par centaines dans tes clips. Tu as l’air assez riche déjà, non ?
Bien sûr que non ! Je ne me considère pas comme riche. Comme je l’ai dit à Kanye West, tant que je n’ai pas huit chiffres au compteur, je ne suis pas riche. Sept chiffres, c’est pété. Tu n’es pas riche quand tu as cinq millions de dollars. Si tu ne fais rien, tes cinq millions fondent rapidement. La richesse arrive quand tu en as 80 ! Au moins.
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