Le hip-hop de Young Fathers semble provenir d’outre-tombe : une œuvre contrastée, d’une clarté et d’une intransigeance éblouissantes. Rencontre, critique et écoute.
Le développement du hip-hop alternatif entraîne, au cœur des nineties, l’émergence d’une nouvelle génération de labels indépendants, de figures tutélaires, protectrices d’un sous-genre aux faibles lueurs. Solesides, Rawkus et Rhymesayers, Fondle ‘Em, Definitive Jux, Stones Throw et anticon. incarnent le mal-être d’un segment jugé indigne d’attention, d’un certain nombre d’acteurs (parmi lesquels MF Doom, Cannibal Ox, Company Flow, Pharoahe Monch et Atmosphere) évoluant en marge d’un système, d’un schéma traditionnels.
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Refus des convenances et des étiquettes
Les dérivés impurs et pernicieux du hip-hop, ses élans vers l’indépendance, forment un ensemble dont l’influence s’est étendue outre-Atlantique. Abrité au sein des structures de Will Ashton (fondateur de Big Dada, antichambre et division de Ninja Tune) et de Baillie Parker (anticon.), le projet Young Fathers – érigé sous les traits impassibles de Kayus, Graham et Alloysious, silhouettes monolithiques du triangle écossais entretenu depuis près d’une décennie – atteste de la finalité d’un tel mouvement, de son refus des convenances et de toute étiquette.
“Il est primordial de chercher à s’élever, à repousser ses limites, de se retrouver dans une situation inconfortable. Le fait de se complaire dans un même registre ne constitue aucun intérêt, tout y est prévisible.”
Il est aussi vain de réduire Young Fathers à la sphère hip-hop, à la soul et aux origines du blues, à la synth-pop et à la musique africaine. Son œuvre reflète ce mépris des carcans, ne se contient, ne se limite aucunement – ni aux sonorités, ni aux textures d’un quelconque environnement musical. La discographie de Young Fathers, déployée au travers d’un album (Dead, 2014), récompensé du Mercury Music Prize et des ep Tape One et Tape Two, consiste en un modèle d’hybridité, de modernité, pourvu d’une identité propre. “Nous avons besoin de produire une musique qui nous séduit, qui attise notre curiosité et suscite notre enthousiasme. Une musique qui n’existerait pas, qui nous paraîtrait innovante.”
Ambivalence et richesse du projet
Ses compositions, contrastées – tantôt mélodieuses et énergiques, emplies d’un espoir opportun, tantôt plus oppressantes – témoignent de l’ambivalence et de la richesse du projet. Graham, Alloysious et Kayus, en quête de rédemption, cherchant ainsi à s’extirper d’un univers aliénant, se sont attelés à la production de White Men Are Black Men Too, un album ébloui par une intense clarté – laquelle paraissait lointaine, insaisissable sur les précédents essais. La poursuite de tels desseins (d’une forme de singularité, d’une luminosité radieuse) ébranle, de manière incessante, la structure de Young Fathers, l’incitant à se mouvoir sans interruption. “Nous ne pouvons prévoir l’avenir. Cette lumière vive pourrait faiblir et disparaître. Nous devons évoluer de nouveau, nous ne pouvons produire une œuvre similaire à celle qui l’a précédée.”
Les attentes de ses auditeurs n’interviennent en aucune façon dans le processus d’enregistrement, soumis aux instincts, aux émotions primaires, aux pulsions de ses membres. Sa démarche ne semble découler d’aucune réflexion ni d’aucune théorie. Seul subsiste ce paradoxe, une constante de son répertoire, mêlant l’ombre à la lumière, le désir de s’élever, de produire une œuvre personnelle, égocentrique, liée à une certaine forme d’altruisme. D’opposer également, de rendre sa trajectoire confuse, en fusionnant les genres et les influences, en dissociant les mélodies des propos de ses créations.
concert le 13 juin à Paris (Maroquinerie)
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