Venus d’Afrique, d’Ecosse et des abysses, trois rappeurs poussent plus loin encore les recherches de Massive Attack dans l’obscurité. Critique et écoute.
La première fois que l’on a vu Young Fathers sur scène, ce sont les tripes qui s’en souviennent le mieux. Ce sont elles qui ont le mieux entendu ce hip-hop grinçant, malade, elles qui ont dansé la ronde des fous, la chenille affolée. Car sur scène, on ressentait plus qu’on entendait ce trio écossais aux origines nomades (Libéria, Nigéria, Edimbourg) : musique martelée de trois voix enchâssées, maltraitées, à la fois charnelle et escarpée, adepte de l’uppercut comme de la caresse. Même sur ses ballades chancelantes, comme le génial I Heard, digne des plus belles chansons pop de Brian Eno, le groupe restait sur le qui-vive, dans l’affolement, dans la menace : on pensa immédiatement aux shows dans l’obscurité de Tricky, aux concerts en transe de TV On The Radio.
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Cette noirceur malsaine, cette énergie contrariée, le trio la canalisa sur deux ep de musique mutante, auxquels manquait juste une production digne de ses crêtes, de ses déchirements, de ses sautes d’humeur. Plus dense encore, parfois jusqu’à l’étouffement voire le malaise, la production de Dead fait honneur (horreur) à ce rap des ténèbres, à cette soul viciée qui défie Massive Attack dans ses recoins les plus funestes. Complexe, touffue, grouillante, elle offre à ces chants tribaux, à ces scansions fiévreuses une jungle sonique à peine percée de clairières, de puits de lumière.
Ça rend les moments les plus pop, les plus apaisés de ce premier album – le magnifique Low ou l’incantatoire I’ve Arrived – d’autant plus précieux et dérangeants : l’œil du cyclone, entouré et menacé par le carnage, l’explosion. Car la paix est ici impossible tant les gestes semblent agités, urgents, mécaniques : rap de zombies effarés par la lumière des stroboscopes, hurlant des hymnes hallucinés comme Get up ou Queen Is Dead, qui concassent dans un mortier prêté par le diable un psychédélisme désolé. Étonnamment – pour un enchevêtrement aussi cruel avec les nerfs, aussi radin avec les éclairages vifs, aussi économe avec les dynamiques –, un album qui donne la super patate. Et on n’a pas parlé de patate douce.
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