Les nostalgiques de l’épopée des Verts bien sûr qu’il en reste ! se souviennent sans doute d’Ipswich Town, cette équipe anglaise de série B qui, au début des années 80, mit une branlée mémorable au Saint-Etienne de Platini. A Ipswich, dans ce coin de Suffolk, outre qu’on sait admirablement tâter du ballon, on […]
Les nostalgiques de l’épopée des Verts bien sûr qu’il en reste ! se souviennent sans doute d’Ipswich Town, cette équipe anglaise de série B qui, au début des années 80, mit une branlée mémorable au Saint-Etienne de Platini. A Ipswich, dans ce coin de Suffolk, outre qu’on sait admirablement tâter du ballon, on accorde quelques bontés à la pop à guitares, indifférents qu’on est au temps et aux soubresauts des modes. Là-bas, un activiste ermite nommé Ed Ween, fou de musique et de littérature, s’illustre (?) dans divers groupuscules à la notoriété toute relative, tels Sink, Chocolate ou Yardman. En 1993, Ed Ween avait fait paraître, sous couvert d’un groupe baptisé Big Ray (double allusion à Alex Chilton et Raymond Chandler), un album au charme venimeux, dont les revers de fortune n’eurent d’égal que le mépris incroyable dans lequel le tint City Slang, sa maison de disques. Naked, pourtant, n’était rien de moins qu’un petit frère du Sisters lovers de Big Star, une de ces oeuvres maudites dont l’étrange pouvoir est de susciter des cultes nombrilistes, à la démesure du pauvre sort qui est le leur. Sur Naked le bien nommé, un homme nu chantait sous sa douche glacée, et trouvait ça normal. Ni vraiment triste ni franchement gai, ce disque désabusé dressait le bilan extraordinaire d’une vie ordinaire, sur le ton majeur de ceux qui écrivent des chansons pour la beauté du geste plutôt que pour la postérité. La preuve, c’est qu’il aura fallu patienter six longues années avant d’avoir des nouvelles du second album de Big Ray, pourtant enregistré dans la foulée du premier. Un disque nettement plus serein dans son propos, plus classique dans sa forme, un peu comme si Big Star (influence une fois de plus ouvertement revendiquée) avait pris sa discographie à rebours, passant sans transition du folk torturé de Sisters lovers à la pop électrique de Radio city. S’il avait paru à l’époque de sa gestation, ce disque touchant d’humilité, rayonnant d’excellence, eût pu rencontrer le succès du premier album de The Auteurs, dont il est l’équivalent fauché en plein vol. Tel quel, rescapé, sorti à l’arraché sur un label français créé spécialement pour lui, il exhale un parfum rare d’encre et de parchemin mêlés, l’odeur délicieusement surannée d’un manuscrit volé à quelque scripte génial et bien trop timide pour admettre l’évidence d’un vrai talent brisé par le destin.
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