Moins exposé que Kendrick Lamar, plus sauvage que Vince Staples, YG défouraille toute forme d’orthodoxie avec Still Brazy impose un son hésitant en permanence entre pulsions underground et efficacité mélodique, et prouve que le hip-hop américain n’en a pas fini avec les particularismes régionaux.
Parce que toutes les grands morceaux ne renferment pas forcément de belles histoires, Who Shot Me ? fait directement allusion au règlement de compte dont a été victime YG en juin 2015 à la sortie de son studio à Los Angeles. Mais les trois balles dans le buffet reçu ce jour-là n’ont visiblement pas calmer son ardeur (« The only one that got hit and was walking the same day ») et c’est bien avec l’un des meilleurs albums de cette première moitié d’année que débarque le rappeur de Compton.
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À l’heure où le hip-hop associe à nouveau les outrances du rap démago grand public et l’audace stylistique des activistes de l’underground, Still Brazy n’est pourtant pas une surprise : quiconque s’est penché sérieusement sur son précédent forfait, My Krazy Life, sait le MC capable d’évoquer dans les termes les plus crus les deals en plein jour, la violence, la pauvreté urbaine et le sexe avec un entrain, une hargne, une gravité, un engouement, un humour et une goguenardise redoutables. Pour préserver ce regard neuf, YG s’est ici débarrassé de DJ Mustard, grand orchestrateur de l’album précédent. Signe que l’homme est monté en puissance, il a su s’entourer de nouveaux producteurs (DJ Swish, Terrance Martin ou 1500 or Nothin’, également présent sur To Pimp A Butterfly de qui vous savez) et de collaborateurs de renoms (Drake, Lil Wayne), varier les approches et faire foisonner les tonalités et couleurs musicales tout en respectant le catéchisme du gangsta-rap à la lettre.
California love
Tout au long de ces dix-sept morceaux, on pense forcément à Daz Dillinger du Dogg Pound, au The Diary de Scarface, voire au Death Certificate d’Ice Cube, mais la singularité de YG réside dans son sens de la narration, ses basses énormes et dans sa capacité à poser un flow mordant sur des beats cools et suaves, quelque chose qui tient de l’école Aftermath autant que de la G-funk moderne. Autant dire que l’Angeleno est de cette nouvelle génération de MC’s (Kendrick Lamar, Schoolboy Q, Vince Staples, etc.) qui permet à Los Angeles de retrouver toute sa splendeur au cœur de la géographie hip-hop.
De la première à la dernière seconde, Still Brazy, en dépit d’un concept moins prononcé que sur My Krazy Life, demeure ainsi un excellent moyen d’en savoir plus sur Compton, ses gangsters infréquentables, ses histoires de rues sinistres et, malgré tout, ce sentiment d’appartenance qui nous ferait presque penser qu’il s’agit là d’un des meilleurs endroits de la Terre. Dans une interview à I-D, le rappeur évoquait ainsi son amour du quartier, la nécessité de lui rendre hommage : « C’est juste quelque chose que je vais faire jusqu’à la fin de ma vie. Je vais continuer à garder la Californie dans la place, garder L.A dans la place, ça me correspond. Je ne connais rien d’autre à part ça ».
« Fuck Donald Trump »
Conscient qu’on l’entend, et qu’on l’attend, désormais bien au-delà de la Californie et des États-Unis, YG, plutôt que de pousser le style gangsta au bout de sa logique nihiliste, n’exclue pas non plus des commentaires acides sur l’actualité, de la hargne anti-policière (Police Get Away Wit Murder, qui conclut l’album et énumère le nom de blacks tombés sous les balles des « pigs » alors qu’ils n’étaient pas armés), un brin d’autodérision et un regard critique sur son parcours (She Wish She Was) ou encore des attaques virulentes envers Donald Trump (FDT et son refrain, à répéter comme un mantra, un blunt aux coins des lèvres : « Fuck Donald Trump »).
Peu ouvert aux critiques à son sujet – surtout quand elles viennent d’un rappeur black, arrogant et fier ? -, le candidat à l’élection présidentielle américaine applique la même méthode que Dan Quayle ou Tigger Gore il y a plus de deux décennies : il riposte. Au printemps dernier, il souhaitait interdire FDT et Blacks and Browns – particulièrement le couplet de Sadboy, accusateur -, mais s’est rapidement heurté à l’intransigeance d’un producteur exécutif bien décidé à défendre son protégé coute que coute. Une phrase a certes été supprimée (« Surprised El Chapo ain’t try to snipe you »), mais c’est bien là la seule concession dont semble capable YG sur Still Brazy, un disque qui pousse à un niveau rarement atteint ces dernières années la description de la réalité de la rue, les travers de sa génération et l’esthétique G-funk, dont il décompose le spectre tel un prisme.
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