Les anciens fluo kids sortent
un fantastique deuxième album
qui redéfinit la pop culture avec
aplomb et malice. Rencontre
entre New York et Saint-Brieuc.
Problème et paradoxe : la France au cul entre deux chaises, celle qui méprise ses masses autant qu’elle exècre ses élites, qui a peur de l’argent mais aspire à la richesse, s’est parfois retrouvée perdue devant l’image très changeante du groupe, de l’ombre hype à la brûlante surexposition. “Tu ne peux pas contrôler ce que les gens pensent de toi, les perceptions faussées, raconte Julie. Par exemple, quand quelqu’un à Canal+ te dit que, au Grand Journal, tu ne vas pas jouer Je veux te voir mais A cause des garçons, que tu vas le faire avec des danseurs de tecktonik doivent rester derrière toi pendant les deux minutes d’interview… On a compris ensuite que c’était pour que Michel Denisot puisse trouver une transition avec Clémentine Célarié, venue présenter une pièce qui s’appelait La Tectonique des sentiments… Sur le coup, on s’est demandés si on devait le faire ou se casser. Soit tu deviens parano et tu dis non à tout, et ça ne nous ressemble pas, soit tu dis oui et tu sais que tu ne pourras pas tout maîtriser. Il faut juste assumer.”
Certains n’ont peut-être pas non plus compris la grande portée de Yelle : le groupe cartonne à l’export parce qu’il touche à l’universel ; parce que même si Julie chante en français, le groupe s’adresse aux corps et fonctionne à l’énergie pure, ce qu’aucune prison linguistique ne peut enfermer ; parce que ses textes disent des choses sublimes, profondes ou drôles avec des mots à la simplicité désarmante – les punchlines du rap adaptées à la chanson. Safari Disco Club puise dans un dictionnaire des sentiments bien plus fourni que son prédécesseur, Pop up. “Reprendre le processus de création n’a pas été simple, confie GrandMarnier. On ne savait pas si on allait être capables de continuer. Les journalistes ont utilisé le mot ‘fluo’ à toutes les sauces avant de décréter que le mouvement des fluo kids était mort. Nous portons la même étiquette : sommes-nous morts nous aussi ? On a traversé des moments de mélancolie assez durs qui ont sans doute donné une teinte particulière à l’album.”
Au départ, Safari Disco Club n’a pas été pensé comme un album. Indépendant jusqu’au bout des bits, le groupe a même voulu publier ses chansons au fur et à mesure de leur enregistrement. L’habillage visuel, animal et organique, signé du créateur et ami Jean-Paul Lespagnard, n’est venu qu’à la fin du processus, tout comme le titre. Ils sont pourtant hautement significatifs : alimenté par l’apprentissage technique des jeunes gens, la plus grande implication de Tepr et le retour de GrandMarnier à ses premières amours pour les polyrythmies, Safari Disco Club trouve un équilibre idéal entre mélodies roudoudous, sophistication harmonique et langage primal et charnel de rythmiques quasi tribales.
Du fluo au fauve, Safari Disco Club est un album qui se danse autant qu’il s’écoute : un poster de Hot Chip, maîtres anglais de l’électronique songeuse, trône dans le salon de Jean-François et Julie et ce n’est sans doute pas un hasard. “Je commence à en avoir marre de la fast generation, avoue GrandMarnier. Je peux être fasciné par la modernité mais il ne faut pas oublier l’essentiel : prendre le temps d’écouter. Facebook me gonfle un peu pour ça : quelqu’un poste un lien, une personne le ‘like’, l’écoute deux fois mais passe à autre chose. Moi le premier, d’ailleurs. Ce rapport à l’animal, au corps, à la danse et à quelque chose de primitif vient peut-être de ça : une manière de dire qu’on repart à zéro.”
Pour repartir à zéro, cet album aurait d’ailleurs pu commencer par sa fin, l’existentielle, apocalyptique et magnifique S’éteint le soleil. Il aurait suffi d’écouter le reste, cette litanie de tubes (Comme un enfant, Le grand saut, écrite, comme deux autres titres, avec le Berlinois Siriusmo, Mon pays, Safari Disco Club ou Chimie Physique) pour rallumer l’astre : on est prêt à parier qu’il vous tiendra chaud et fera crépiter vos sens bien plus longtemps qu’un Frizzy Pazzy.
Concerts : le 7 avril à Paris (Point Ephémère), le 8 à Bruxelles